French 271

Assignment: Corneille, Horace (Lettre dédicatoire) 1

A Mgr LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU
MONSEIGNEUR,
Je n’aurais jamais eu la témérité de présenter à Votre Eminence ce mauvais portrait d’Horace, si je n’eusse considèré qu’après tant de bienfaits que j’ai reçus d’elle, le silence où mon respect m’a retenu jusqu’à présent passerait pour ingratitude, et que quelque juste défiance que j’aie de man travail, je dois avoir encore plus de confiance en votre bonté. C’est d’elle que je tiens tout ce que je suis ; et ce n’est pas sans rougir que, pour toute reconnaissance, je vous fais un présent si peu digne de vous, et si peu proportionné à ce que je vous dois. Mais, dans cette confusion, qui m’est commune, avec tous ceux qui écrivent, j’ai cet avantage qu’on ne peut, sans quelque injustice, condamner mon choix, et que ce généreux Romain, que je mets aux pieds de Votre Eminence, eût pu paraître devant elle avec moins de honte, si les forces de l’artisan eussent répondu à la dignité de la matière ; j’en ai pour garant l’auteur dont je l’ai tirée, qui commence à décrire cette fameuse histoire par ce glorieux éloge, « qu’iI n’y a presque aucune chose plus noble dans toute l’antiquité ». Je voudrais que ce qu’il a dit de l’action se pût dire de la peinture que j’en ai faite, non pour en tirer plus de vanité, mais seulement pour vous offrir quelque chose un peu moins indigne de vous être offert. Le sujet était capable de plus de grâces, s’il eût été traité d’une main plus savante, mais du moins il a reçu de la mienne toutes celles qu’elle était capable de lui donner, et qu’on pouvait raisonnablement attendre d’une muse de province, qui, n’étant pas assez heureuse pour jouir souvent des regards de Votre Éminence, n’a pas les mêmes lumières à se conduire qu’ont celles qui en sont continuellement éclairées. Et certes, MONSEIGNEUR, ce changement visible qu’on remarque en mes ouvrages depuis que j’ai l’honneur d’être à Votre Eminence, qu’est-ce autre chose qu’un effet des grandes idées qu’elle m’inspire quand elle daigne souffrir que je lui rende mes devoirs? Et à quoi peut-on attribuer ce qui s’y mêle de mauvais, qu’aux teintures grossières que je reprends, quand je demeure abandonné à ma propre faiblesse?

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