zOld: Tahar Ben Jelloun et la légende urbaine (FR 271)

Assignment: Tahar Ben Jelloun : la littérature et les légendes urbaines 2

Ben Jelloun, Tahar. La prière de l’absent. Paris: Seuil, 1981: 123-124.

 

Chapitre 10 : La nuit claire de l’apparence

 

C’était une belle Chevrolet noire datant de la fin des années cinquante. Une voiture large et solide. Le tableau de bord était là pour le décor. Les aiguilles indiquaient depuis longtemps, depuis toujours, le vide, le néant. Elles signalaient ainsi l’insolence du temps. Elles s’étaient arrêtées dans leur cadran, un peu au hasard. Le propriétaire du taxi les astiquait avec un chiffon jaune. Il aimait faire briller le métal.

 

Après maintes tractations, il installa ses voyageurs : Yamna, l’enfant, Sindibad et Boby sur la banquette arrière ; devant un gros et un mince.

 

Avant de tourner la clé de contact, il balbutia quelque chose comme « Au nom de Dieu le Miséricordieux »…C’était un homme vif et rusé. Il avait encore sa famille dans le Haouz et il faisait le taxi entre Casablanca et Marrakech. Il se mit à raconter une histoire :

 

-Un jour, c’était un vendredi de la pleine lune ; j’allais rentrer chez moi à Douar Doum, quand le petit Brahim m’arrêta et me dit : « Une affaire pour toi : trois pèlerins qui viennent d’arriver à Casablanca et ils sont impatients de rentrer chez eux, à Marrakech. Ils sont prêts à payer le prix. » C’était dix heures du soir.

 

Je fais mon petit calcul et je me dis, après tout, pourquoi pas ? Je n’ai pas sommeil et puis j’aime bien rouler à la lumière de la lune. J’arrive près de la gare, je vois trois vieux messieurs, habillés en blanc. Des hommes silencieux, fatigués sans doute par le voyage, en tout cas, ils ne discutèrent même pas le prix. Ils me donnèrent quatre billets de cinquante dirhmas. Pas un mot. Ils ne dormaient pas. Ils avaient les yeux ouverts et ne bougeaient presque pas. Le silence pesant m’angoissa. Ce n’est pas que j’aime le bruit, mais j’aime la parole.

 

Je mis en marche la radio. Une main l’arrêta. Je roulais et j’observais la lune. Elle était tellement pleine et belle qu’elle risquait de tomber. Des fois, j’ai des clients un peu maniaques. Ceux-là étaient sous la loi du silence. Vers une heure du matin, j’entrai à Marrakech. J’arrêtai la voiture à la gare routière de Jamaa el Fna et descendis leur ouvrir la portière et leur donner leurs bagages.

 

« Vous n’allez pas me croire, mais je vous jure sur la tête de mes enfants que ce que je vais vous dire est la stricte vérité : sur la banquette arrière il y avait trois sacs en toiles blanche remplis de paille. Dans le coffre, il y a avait une sacoche pleine d’ossements humains. J’allais devenir fou, j’ai hurlé. Personne ne m’entendit. Je mis la main dans ma poche pour vérifier s’ils ne m’avaient pas refilé de la fausse monnaie, et je trouve quatre pierres, des cailloux pas plus grands que des poires.

 

« Alors vous savez, depuis ce jour-là, je ne voyage plus de nuit et je parle avec mes voyageurs. Il faut me comprendre ! Que chacun raconte une histoire. La route sera moins longue !… (123-124)

 

Questions de compréhension et d’analyse

 

 

TERMES LITTERAIRES A RETENIR* :

  • Le récit enchâssé : c’est le récit dans le récit. Exemple : les aventures d’Ali Baba que raconte Schéhérazade au sultan dans Les mille et une nuits. Dans ce texte de Tahar Ben Jelloun, le récit enchâssé est l’histoire que le propriétaire du taxi raconte : le trajet en taxi avec les trois pèlerins et la découverte des ossements dans la voiture (de “Un jour, c’était un vendredi” jusqu’à “des cailloux pas plus grands que des poires”).
  • Le récit cadre : c’est le récit principal dans lequel est emboîté le récit enchâssé. Exemple : dans Les mille et une nuits, c’est l’histoire de Schéhérazade qui tente d’apaiser la colère du sultan et de sauver ainsi sa vie mais aussi celle des femmes de son royaume. Dans le texte de Tahar Ben Jelloun, c’est la description de la voiture et des personnages (de “C’était une belle chevrolet” jusqu’à “Il se mit à raconter une histoire”) et la dernière phrase de conclusion

* Retenez bien ces termes que vous devez savoir définir lors de la prochaine interrogation !

 

 

Questions de discussion

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