French 321

Assignment: Corneille, Cinna, Acte II, scène 1



[vers 405-442]:

CINNA:
405] Malgré notre surprise, et mon insuffisance,
Je vous obéirai, seigneur, sans complaisance,
Et mets bas le respect qui pourrait m’empêcher
De combattre un avis où vous semblez pencher,
Souffrez-le d’un esprit jaloux de votre gloire,
410] Que vous allez souiller d’une tache trop noire,
Si vous ouvrez votre âme à ces impressions
Jusques à condamner toutes vos actions.
On ne renonce point aux grandeurs légitimes;
On garde sans remords ce qu’on acquiert sans crimes;
415] Et plus le bien qu’on quitte est noble, grand, exquis,
Plus qui l’ose quitter le juge mal acquis.
N’imprimez pas, seigneur, cette honteuse marque
À ces rares vertus qui vous ont fait monarque;
Vous l’êtes justement, et c’est sans attentat
420] Que vous avez changé la forme de l’État.
Rome est dessous vos lois par le droit de la guerre,
Qui sous les lois de Rome a mis toute la terre;
Vos armes l’ont conquise, et tous les conquérants
Pour être usurpateurs ne sont pas des tyrans;
425] Quand ils ont sous leurs lois asservi des provinces,
Gouvernant justement, ils s’en font justes princes:
C’est ce que fit César; il vous faut aujourd’hui
Condamner sa mémoire, ou faire comme lui.
Si Ie pouvoir suprême est blâmé par Auguste,
430] César fut un tyran, et son trépas fut juste,
Et vous devez aux Dieux compte de tout Ie sang
Dont vous l’avez vengé pour monter à son rang.
N’en craignez point, seigneur, les tristes destinées ;
Un plus puissant démon veille sur vos années :
435] On a dix fois sur vous attenté sans effet,
Et qui l’a voulu perdre au même instant l'a fait.
On entreprend assez, mais aucun n’exécute ;
II est des assassins, rnais il n’est plus de Brute.
Entin, s’il faut attendre un sembIable revers,
440] II est beau de mourir maître de l’univers.
C’est ce qu’en peu de mots j’ose dire, et j’estime
Que ce peu que j’ai dit est l’avis de Maxime.

 


[vers 443-498]:

MAXIME
Oui, j’accorde qu’Auguste a droit de conserver
L’empire où sa vertu l’a fait seule arriver,
445] Et qu’au prix de son sang, au péril de sa tête,
II a fait de l’Etat une juste conquête ;
Mais que sans se noircir, il ne puisse quitter
Le fardeau que sa main est lasse de porter,
Qu’il accuse par Ia César de tyrannie,
450] Qu’il approuve sa mort, c’est ce que je denie.
Rome est à vous, seigneur, l’empire est votre bien;
Chacun en liberté peut disposer du sien :
Il le peut à son choix garder, au s’en defaire ;
Vous seul ne pourriez pas ce que peut Ie vulgaire,
455] Et seriez devenu, pour avoir tout dompté,
Esclave des grandeurs ou vous êtes monté!
Possédez-Ies, seigneur, sans qu’elles vous possèdent.
Loin de vous captiver, souffrez qu’elles vous cèdent;
Et faites hautement connaître entin à tous
460] Que tout ce qu’elles ont est au-dessous de vous.
Votre Rome autrefois vous donna la naissance ;
Vous lui voulez donner votre toute-puissance ;
Et Cinna vous impute à crime capital
La liberalité vers Ie pays natal!
465] II appelle remords l’amour de la patrie!
Par la haute vertu la gloire est donc flétrie,
Et ce n’est qu’un objet digne de nos mépris,
Si de ses pleins effets l’infamie est Ie prix !
Je veux bien avouer qu’une action si belle
470] Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle ;
Mais commet-on un crime indigne de pardon,
Quand la reconnaissance est au-dessus du don?
Suivez, suivez, seigneur, Ie Ciel qui vous inspire:
Votre gloire redouble à mépriser I’empire ;
475] Et vous serez fameux chez la posterité,
Moins pour l’avoir conquis que pour l’avoir quitté.
Le bonheur peut conduire à Ia grandeur suprême;
Mais pour y renoncer iI faut la vertu même ;
Et peu de généreux vont jusqu’à dédaigner,
480] Après un sceptre acquis, la douceur de régner.
Considérez d’ailleurs que vous régnez dans Rome,
Où, de quelque façon que votre cour vous nomme,
On hait la monarchie ; et Ie nom d’empereur,
Cachant celui de roi, ne fait pas moins d’horreur.
485] Ils passent pour tyran quiconque s’y fait maître;
Qui Ie sert, pour esclave, et qui l’aime, pour traître ;
Qui Ie souffre a Ie creur lâche, mol, abattu,
Et pour s’en affranchir tout s’appelle vertu.
Vous en avez, seigneur, des preuves trop certaines:
490] On a fait contre vous dix entreprises vaines ;
Peut-être que I’onzième est prête d’éclater,
Et que ce mouvement qui vous vient agiter
N’est qu’un avis secret que Ie Ciel vous envoie,
Qui pour vous conserver n’a plus que cette voie.
495] Ne vous exposez plus à ces fameux revers.
II est beau de mourir maître de l’univers ;
Mais la plus belle mort souille notre mémoire,
Quand nous avons pu vivre et croître notre gloire.

 


LouisXIII
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