17 Guy de Maupassant – La Parure (Sections 1 & 2)
Guy de Maupassant (1850-1893) est un des auteurs les plus célèbres de la littérature française. Écrivain prolifique, il publie de nombreux contes (nouvelles), romans, pièces de théâtre, articles de presse et récit de voyage. Il est considéré comme le maître de la forme de la nouvelle (rival de Edgar Allen Poe? ou de nos jours, Alice Munro? ou bien Monique Proulx?) et celle que vous lirez ici est sans doute l’une des plus lues et commentées.
Avant de commencer à lire, quelques mots sur le contexte historique et social de “La Parure” qui est publié en 1884 dans le journal parisien Le Gaulois. Avec l’instauration de la Trosième République en 1870, la France se redresse d’une série de changements politiques et économiques. La fin du 19e sièlce, souvent dite “La Belle Époque” est alors période de prospérité économique et sociale – mais pas pour tous ! La haute bourgeoisie connait ses richesses mais les classes moyennes et défavorisées le sont toujours pendant ce temps. Dans La Parure, Maupassant nous introduit dans les salons des riches et dans les ménages des plus pauvres pour nous offrir une certain réflexion sur la stratification sociale et économique de son époque.
“La Parure” de Guy de Maupassant (Sections 1 & 2)
Section 1
C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’espérances, aucun moyen d’être connue, comprise, aimée, épousée par un homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère de l’instruction publique.
Elle fut simple ne pouvant être parée, mais malheureuse comme une déclassée ; car les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct d’élégance, leur souplesse d’esprit, sont leur seule hiérarchie, et font des filles du peuple les égales des plus grandes dames.
Elle souffrait sans cesse, se sentant née pour toutes les délicatesses et tous les luxes. Elle souffrait de la pauvreté de son logement, de la misère des murs, de l’usure des sièges, de la laideur des étoffes. Toutes ces choses, dont une autre femme de sa caste ne se serait même pas aperçue, la torturaient et l’indignaient. La vue de la petite Bretonne qui faisait son humble ménage éveillait en elle des regrets désolés et des rêves éperdus. Elle songeait aux antichambres muettes, capitonnées avec des tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de bronze, et aux deux grands valets en culotte courte qui dorment dans les larges fauteuils, assoupis par la chaleur lourde du calorifère. Elle songeait aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins portant des bibelots inestimables, et aux petits salons coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec les amis les plus intimes, les hommes connus et recherchés dont toutes les femmes envient et désirent l’attention.
Quand elle s’asseyait, pour dîner, devant la table ronde couverte d’une nappe de trois jours, en face de son mari qui découvrait la soupière en déclarant d’un air enchanté : « Ah ! le bon pot-au-feu ! je ne sais rien de meilleur que cela… », elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes, aux tapisseries peuplant les murailles de personnages anciens et d’oiseaux étranges au milieu d’une forêt de féerie ; elle songeait aux plats exquis servis en des vaisselles merveilleuses, aux galanteries chuchotées et écoutées avec un sourire de sphinx, tout en mangeant la chair rose d’une truite ou des ailes de gélinotte.
Elle n’avait pas de toilette, pas de bijoux, rien. Et elle n’aimait que cela ; elle se sentait faite pour cela. Elle eût tant désiré plaire, être enviée, être séduisante et recherchée.
Elle avait une amie riche, une camarade de couvent qu’elle ne voulait plus aller voir, tant elle souffrait en revenant. Et elle pleurait pendant des jours entiers, de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse.
Section 2⁂
Or, un soir, son mari rentra, l’air glorieux, et tenant à la main une large enveloppe.
— Tiens, dit-il, voici quelque chose pour toi.
Elle déchira vivement le papier et en tira une carte qui portait ces mots :
« Le ministre de l’instruction publique et Mme Georges Ramponneau prient M. et Mme Loisel de leur faire l’honneur de venir passer la soirée à l’hôtel du ministère, le lundi 18 janvier. »
Au lieu d’être ravie, comme l’espérait son mari, elle jeta avec dépit l’invitation sur la table, murmurant :
— Que veux-tu que je fasse de cela ?
— Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et c’est une occasion, cela, une belle ! J’ai eu une peine infinie à l’obtenir. Tout le monde en veut ; c’est très recherché et on n’en donne pas beaucoup aux employés. Tu verras là tout le monde officiel.
Elle le regardait d’un œil irrité, et elle déclara avec impatience :
— Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là ?
Il n’y avait pas songé ; il balbutia :
— Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me semble très bien, à moi…
Il se tut, stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Deux grosses larmes descendaient lentement des coins des yeux vers les coins de la bouche ; il bégaya :
— Qu’as-tu ? qu’as-tu ?
Mais, par un effort violent, elle avait dompté sa peine et elle répondit d’une voix calme en essuyant ses joues humides :
— Rien. Seulement je n’ai pas de toilette et par conséquent je ne peux aller à cette fête. Donne ta carte à quelque collègue dont la femme sera mieux nippée que moi.
Il était désolé. Il reprit :
— Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il, une toilette convenable, qui pourrait te servir encore en d’autres occasions, quelque chose de très simple ?
Elle réfléchit quelques secondes, établissant ses comptes et songeant aussi à la somme qu’elle pouvait demander sans s’attirer un refus immédiat et une exclamation effarée du commis économe.
Enfin, elle répondit en hésitant :
— Je ne sais pas au juste, mais il me semble qu’avec quatre cents francs je pourrais arriver.
Il avait un peu pâli, car il réservait juste cette somme pour acheter un fusil et s’offrir des parties de chasse, l’été suivant, dans la plaine de Nanterre, avec quelques amis qui allaient tirer des alouettes, par là, le dimanche.
Il dit cependant :
— Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche d’avoir une belle robe.
a dowry
un fonctionnaire d'une importance mineure
sa maison
la déterioration d'un objet suite à un usage à long-terme.
textile, tissue de soie
petits objets en porcelaine
Qui a une qualité élégante
des discussions, conversations informelles
silverware
Ici, tout le maquillage, parfums et vêtements souhaités pour une telle sortie
Le logement (et bureau) officiel du ministre
balbutier - to stumble over your words
du verbe bégayer - mal prononcer ses mots (synonyme de balbutier)
(familier) - bien habillé-e
Ici, qui respecte leur situation financière.
ce qui est provoqué par la peur
devenir pâle
occasion d'aller faire la chasse
région nord-ouest du centre-ville de Paris
un petit oiseau passerau