9 Welschinger, “Le Phare” – Peter Russella

Contexte Historique

Henri Welschinger (1846-1919)

L’auteur de ce poème n’est pas du tout connu pour sa poésie, mais pour son travail en tant qu’Historien et archiviste qui lui a permis de travailler à l’Assemblée Nationale et le Sénat pendant toute sa carrière. Il reçoit le grand prix Gobert de l’Académie française en 1898. Il s’agit d’un prix remis dans le domaine de l’Histoire qui récompense « le morceau le plus éloquent d’histoire de France, ou celui dont le mérite en approchera le plus ». C’est officiellement pour son travail sur Rome et « l’ensemble de ses ouvrages ». Alors, il se peut que « Le Phare » soit compris dans la discussion.

 

Dans cette étude, Welschinger figura, sans doute pour la première fois, sur la même liste des grands poètes du XIXe siècle tel que Hugo, Baudelaire, Corbière et Lamartine. S’il se retrouve ici, ce n’est pas pour la beauté de sa poésie, mais pour son aspect historique. « Le Phare » est un poème néo-classique qui regroupe tous les clichés du naufrage qui date d’Horace (voir l’épigraphe) et y ajoute une merveille technologique : le phare moderne.

 

Biographie d’Henri Welschinger : Poète, historien et archiviste

Henri Welschinger est né le 2 février 1846 à Mutterscholtz en Alsace. D’après sa nécrologie il fut « un historien passionné par la Révolution et le Premier Empire, administrateur français, homme de lettres, journaliste et également critique » (Fracademic « Welschinger ») Dans son enfance il a fait « des fortes études classiques » au séminaire de Notre-Dame-des-Champs à Paris (idem).

 

Quelques passages de la nécrologie rédigée par Georges Lacour-Gayet

 

« Les savants qui suivent les travaux hebdomadaires de l’Académie des sciences morales et politiques, les lecteurs de nos grandes revues et de nos principaux journaux connaissaient bien le nom d’Henri Welschinger ; ils étaient heureux de le retrouver presque chaque semaine, au bas d’un article qui était souvent une manifestation de son ardent patriotisme et de ses convictions morales. Son activité intellectuelle a été, en effet, extrême. Si elle s’est cantonnée à peu près dans le domaine de l’histoire moderne et contemporaine, elle n’a pour ainsi dire rien négligé dans cette partie de l’histoire ; on ne rappelle pas les questions les plus diverses de l’actualité intellectuelle, morale, patriotique, économique même sur lesquelles sa plume, alerte et jeune, était toujours prête à prendre position. Aussi son nom était familier au grand public, comme il était justement estimé des historiens ».

 

« L’amour de l’Alsace et de la France, la foi religieuse, la passion pour les belles-lettres et la vérité historique : on retrouve ces sentiments dans toute la vie d’Henri Welschinger ; il expliquent ce qu’elle ne cessa d’avoir de généreux, de sincère, de combatif. Il n’était pas, en effet, de ceux qui, vivant d’une vie purement intérieure ou repliés sur eux-mêmes, restent un peu comme des énigmes. Ses yeux expressifs, sa parole ardente, son intervention toujours prête pour les causes qui lui étaient chères, étaient autant de témoignages de l’ardeur qui l’anima jusquà sa dernière heure et qui ne demandait qu’à se répandre au dehors ». (Lacour-Gayet 438)

 

L’auteur de ce poème n’est pas du tout connu pour sa poésie, mais pour son travail en tant qu’Historien et archiviste qui lui a permis de travailler à l’Assemblée Nationale et le Sénat pendant toute sa carrière. Il reçoit le grand prix Gobert de l’Académie française en 1898. Il s’agit d’un prix remis dans le domaine de l’Histoire qui récompense « le morceau le plus éloquent d’histoire de France, ou celui dont le mérite en approchera le plus ». C’est officiellement pour son travail sur Rome et « l’ensemble de ses ouvrages ». Alors, il se peut que « Le Phare » soit compris dans la discussion.

 

Dans cette étude, Welschinger figura, sans doute pour la première fois, sur la même liste des grands poètes du XIXe siècle tel que Hugo, Baudelaire, Corbière et Lamartine. S’il se retrouve ici, ce n’est pas pour la beauté de sa poésie, mais pour son aspect historique. « Le Phare » est un poème néo-classique qui regroupe tous les clichés du naufrage qui date d’Horace (voir l’épigraphe) et y ajoute une merveille technologique : le phare moderne.

 

Si son poème Le Phare est le sujet de cette étude aujourd’hui, il ne semble pas avoir été un de ses œuvres les plus réputées. Sa nécrologie cite « les ouvrages qui ont fait la réputation scientifique d’Henri Welschinger » tels que Le Théâtre de la Révolution (1880)[1], Le Divorse de Napoléon (1889) et La Guerre de 1870, Causes et Responsabilités (1911).

 

Il est mort le 3 novembre 1919 à Viroflay, dans les Yvelines « en pleine activité scientifique ».

 

Publication du Phare

 

Le poème Le Phare n’apparaît que rarement dans les bibliographies de Welschinger. Certaines de ces mêmes bibliographies ne mentionnent même pas ses œuvres poétiques. Ses confrères scientifiques et historiens préfèrent se focaliser sur ses autres accomplissements.

 

Pourtant, dans les journaux et bibliographies de l’époque, on voit la créativité du jeune Welschinger qui semble avoir passé par une période maritime avec ses premières œuvres. Le Phare dans le deuxième indexe est accompagné de A Dieu Vat !, une expression emprunté au monde marin qui veut dire « à la grâce de Dieu », et un autre sur Le Sabot du petit Mousse. Le mousse est un apprenti marin chargé de corvées sur le bateau. S’il était inspiré par

 

Journal général de l’imprimerie et de la librairie, Volume 69

 

69e année, 2e série.                       N°22                             29 Mai 1880.

Bibliographie de la France

Journal Général

De l’imprimerie et de la librairie

Publié sur les Documents fournis par le Ministère de l’Intérieur.

Parait tous les samedis.

 

Welschinger (H.). – Le phare, poème ; par Henri Welschinger. In-12, 27 p. Paris, imp. Mouillot : lib. Lemerre. 1 fr. (1er mai.)……………… [4831

Papier vélin teinté.

 

Le Soudier, Henri (1900). Bibliographie française : recueil de catalogues des éditeurs français, accompagné d’une table alphabétique par noms d’auteurs et d’une table systématique…

  1. 63 « Prix divers. – Formats In-4° & In-8°.
  2. Lemerre Poètes Contemporains (suite) p. 67

Henri Welschinger,

  • – Le Phare. 1 volume in-16…………… I *
  • A Dieu Vat !… Poème. 1 volume in-18……………» 50
  • Le Sabot du petit Mousse. 1 volume in-18…………» 75

Pourtant, Félix Guirand remarque que le premier accès au monde des Lettres est par la poésie :

 

« C’est par la poésie que Welschinger accéda aux lettres, en publiant, en 1877, un poème sur André Chénier. Bien que sa production poétique se réduise à quelques poèmes (Charlotte Corday [1879], le Phare [1880], A Dieu vat [1882], le Sabot du petit mousse [1884]) et n’occupe dans son œuvre qu’une place secondaire, elle doit au moins être signalée, car Welschinger garda toujours quelque chose de son premier tempérament, et cette survivance du poète, imaginatif et enthousiaste, qui se retrouve assez fréquemment dans l’oeuvre même de l’historien, en explique certains caractères. Assez vite, cependant, les fonctions qu’il occupait auprès de l’Assemblée nationale et ses attributions de secrétaire-archiviste des grandes commissions d’enquête parlementaire, familiarisant Welschinger avec les pièces d’archives, lui avaient inspiré le goût des études historiques. Aussi, sans déserter entièrement le domaine de la pure imagination, ainsi que l’attestent quelques romans, comme Ranza (1881) et un acte en vers, la Fille de l’orfèvre, écrit avec Octave Lacroix et représenté à l’Odéon en 1884, Welschinger s’était peu à peu acheminé vers d’autres travaux ».

 

Le poème sera édité par Alphonse Lemerre et publié à Paris par l’Imprimerie P. Mouillot à 13, quai Voltaire. Le poème est dédié « A Monsieur Paul Dalloz ». Dalloz était le directeur du Moniteur universel, un journal politique avec lequel Welschinger aurait pu être associé. Il est signé « À la pointe du Raz, 30 octobre 1879 ». Nous n’avons pas d’information biographique pour indiquer que Welschinger aurait passé du temps en Bretagne. Mais la moindre que l’on puisse dire c’est qu’il traverse une période particulièrement maritime et particulièrement créative à la fin des années 1870. Soutenu par ses nombreux amis (qui sont particulièrement importants dans la publication parisienne) tel que Alphonse Lemerre et Paul Dalloz, il entre dans le sphère des Lettres. Le Phare représente un quart de sa production poétique.

[1] Publié d’ailleurs la même année que Le Phare


“Le Phare”

POEME

llli robvr et x$ triplex Circa f-ectus erat…

(HORACtf, ode III, lîv. \,\

Corentin Kcrnevel était un vieux marin

Au front audacieux, au coeur d’un triple airain^

À qui jamais les cris aigus de la tempête,

Ni les fiots de la nier qui montaient jusqu’au faîte

Du navire ébranlé, battu de toutes parts,

Sentant déjà la brèche ouverte en ses remparts.

Ni la fureur du vent déchirant les cordages,

Ni le feu de l’éclair sillonnant les nuages,

Ni l’effrayante horreur d’une soudaine mort

N’arrachèrent un mot, un seul contre le sort!…

 

Le Breton se doutait au fond, mieux que personne, Que, lorsque Dieu le veut, l’heure fatale sonne Pour tous les passagers de ce monde orgueilleux, ‘ ‘ En dépit de leurs soins, de leurs cris, de leurs voeux. N’ayant donc jamais su ce que c’était qu’un lâche, Il allait nuit et jour simplement à sa tâche, Tenant le gouvernail, hissant le pavillon. Dont la flamme traçait un lumineux sillon, Quand il se rapprochait du rivage de France, Il avait vu souvent le cap Bonne-Espérance, La Chine, le Brésil, les Indes, le Japon, Et même visité les glaces du Lapon. Après la Vierge et Dieu, son culte, son caprice Etaient pour le vaisseau nommé le Saint-Maurice. Depuis trente ans au moins le marin, le vaisseau Ne s’étaient pas quittés. Tous deux, toujours sur l’eau, Avaient joyeusement enduré la colère De l’Océan fougueux, les vents et le tonnerre, Et les noirs ouragans que vomissent les cieux. Porté sur le sommet des flots impérieux, Ou couché sur le flanc de la mer irritée, Ou tranquille voguant sur la vague domptée, Le Saint-Maurice était pour Kernevel le toit, Le foyer, la maison, le refuge, l’endroit Préféré, le nid cher à sa vieille habitude, Le lieu le seul exempt de toute inquiétude.

 

II

Un jour le capitaine appela Kernevel :

« Ce que tu vas savoir, dit-il, sera cruel

Pour toi, mon pauvre ami, mon pauvre camarade.

— Pourquoi, dit le marin, me faire une algarade? Ai-je commis du niai?…»

Et tout son corps tremblait. « Cent fois non.

~ Mais alors?… »

Ses yeux, quand il parlait, Fixaient le capitaine, âme loyale et franche, Celle-là s’il en fut!… —

« Il faut que je m’épanche A l’aise devant toi, mon brave Coremin. Vois-tu… chacun de nous, hélas, a son destin Ecrit en traits de feu dans ces belles étoiles Que tu vas consulter en déployant nos voiles…

— Capitaine, pardon d’interrompre au milieu… En fait d’étoiles, moi, je ne connais que Dieu, Corentin mon patron, et notre bonne Vierge,

A qui dans les périls j’ai promis plus d’un cierge!

— Eh bien, il fautt’^rmer plus cn’cor de ta foi Et supporter en lioiiime un alVreux désarroi…

 

Tu vas demain matin quitter le Saint-Maurice.

— Que vous ai-je donc fait, Vierge consolatrice?

Mille noms d’un sabord!… Mais c’est faux, n’est-ce pas?

— Tu traces, Corentin, ici tes derniers pas. C’est un ordre formel que je devais l’apprendre…

— Que vais-je devenir? et que faire? où me rendre ?

— On t’a nommé gardien du phare de Sizun. — Ne pouvait-on choisir, capitaine, quelqu’un De plus jeune que moi, de meilleure assurance? En m’arrachant à vous, on m’ôte l’espérance, Mon rêve, de mourir sur mon pauvre vaisseau ! Songez que c’était là quasiment mon berceau, Ma cabane, mon toit… J’y vivais si tranquille,

Et voilà qu’on me jette au fond d’une presqu’île!

— On devait te choisir. Le poste est périlleux. En le nommant là-bas, on rendrait orgueilleux Plus d’un hardi pilote…

— Oui, mais je suis modeste, Et je ne demandais qu’à jouir de mon reste.

— On ne discute pas, Corentin, son devoir.

— Il suffit… j’ai compris… c’est bien… on verra voir! .. »

Et serrant brusquement la main du capitaine, Le vieux marin alla près du mât de misaine S’appuyer lentement et contempler la mer. L’astre qui se levait, pâle, au fond de l’éther, Vit des larmes couler sur son mâle visage… Pour la première fois sa main, triste présage, Quitta le gouvernail, et jusqu’au jour les Ilots L’entendirent, surpris, murmurer des sanglots!

 

lil

Le phare de Sizun dressait sa tête ronde,

Comme un géant énorme, aux confins du vieux monde.

Tout disait que la main d’un Dieu, plein de courroux,

Avait frappé ce lieu de formidables coups…

Lande aride, sol nu, noirs débris de murailles,

Restes silencieux des bruyantes batailles

Que livrèrent jadis les Celtes aux Romains…

Derrière des rochers, au bout d’affreux chemins,

Sous l’eau du Laoual tout entière engloutie,

Une autre Sodome, Is, la cité pervertie…

Près de là des menhirs, mystérieux tombeaux,

Les dolmens de Gador où des vieillards bourreaux,

Célébrant sans effroi leurs ténébreux offices,

Offraient à Teutatès le sang des sacrifices…

Puis, gardien de la Mort, l’anse des Trépassés,

Où sous l’effort des vents les flots toujours chassés

Apportent dans leurs plis de funèbres épaves,

Des cadavres roidis, bleuis, aux grands yeux caves,.

Des mâts déchiquetés, des voiles, des haillons,

Et d’informes lambeaux de tous les pavillons.

 

Puis, au loin, des rochers à la couleur de rouille,

Contreforts de granit que l’âpre vague fouille

Et creuse sans pitié, qu’elle bat sans repos.

Telle qu’une cavale, enflant ses fiers naseaux,

Va se précipiter, folle, en pleine mêlée,

La mer sur elle-même étroitement roulée,

Monte à l’assaut du roc avec des hurlements,

Le faisant frissonner sous ses déchaînements,

Part, revient au combat, le prend, l’étreint, l’accable,

Lançant jusqu’à sa crête une écume indomptable!…

Des précipices noirs, des abîmes sans fond,

De sauvages ccueils dont l’aspect seul confond

Le regard et l’espritj des grottes d’où s’élève

Le cri des goélands, qui jettent sur la grève

Sonore un long appel de détresse et d’etVroi…

Là-bas l’île de Sein qu’une fatale loi

Condamne à disparaître au milieu des flots sombres

Puis, à la fin du jour, il semble que les ombres

Des morts viennent errer dans ce triste chaos,

Blancs squelettes traînant hideusement leurs os

Parmi l’entassement des roches monstrueuses,

Les grands écroulements, les voix tumultueuses

Des gouflres mugissants, des vents et de la mer!

On jetait Kernevcl au fond de cet enfer!

 

IV

Devoir, ô mot sacré, toi qui toujours animes Les plus mâles vertus, les dévoûments sublimes, Tu te plais encor mieux dans un acte ignoré… – Le sacrifice obscur est par toi préféré Aux prodiges vantés par le peuple en délire, Aux exploits des héros que chantent sur la lyre, En vers majestueux, les poètes divins Quels fougueux orateurs, quels puissants écrivains Sauront jamais dépeindre à la foule étonnée Ce que contient de grand la valeur spontanée D’un soldat inconnu, se lançant à la mort Pour planter le premier son drapeau sur un fort; D’un prêtre allant porter, sur les champs de bataille, Aux mourants dont le cceur épouvanté défaille Les consolants espoirs de l’immortalité! Combien de pauvres fiers ont, sans plainte, accepté Les injures du sort!… Que de fois en silence Les opprimés ont-ils subi la violence, Sans qu’un siècle, occupé de discours et de bruit. Ait su faire le jour au milieu de leur nuit!

 

i.est qu’il existe aussi je ne sais quel prestige, Quel charme tout-puissant» quel entraînant vertige Dans les secrets du coeur, dans les bienfaits caches, Dans les purs dévoûments, exempts de tous marchés, Dans la mort du marin pour sauver un navire, Dans la mort du soldat pour sauver un empire, Dans la mort du martyr pour confesser son Dieu….

Kernevel devait être un héros en ce lieu.

 

• V

Quand le vieux matelot aperçut la tourelle Du phare de Sizun, une angoisse nouvelle Le prit au coeur… Il fit, ému, les derniers pas.

« Enfin te voilà donc!… Vrai, je ne croyais pas Qu’on se faisait prier pour rejoindre son poste ! * Dit une grosse voix.

L’autre aussitôt riposte : « Comment s’appclle-t-il, celui qui parle ainsi A Kernevel?

— Pen’bern, ton second.

— Grand’merci! Mais apprends sans tarder que moi seul je commande, Et que je n’entends point qu’un second me gourmande!

— Tu prends mal mon accueil… Voyons, je plaisantais.

— Je ne ris pas.

— Allons?

— Silence!…

— Je me tais. » Kernevel regarda Pen’bern devenu pâle, Et pâle comme un mort sous son masque de haie.

 

C’était un matelot encor vert et hardi, Mais dont les yeux sournois, baissés en plein midi, Semblaient traîtreusement méditer quelque chose… « Tu m’en veux, reprit-il, et j’en saurai la cause. Pen’bern, que t’ai-je fait, sois sincère, sois franc !

— Eh bien, quoi qu’il m’en coûte à sortir de mon rang, Je vous dis en deux mots, maître, ce qui m’agace… J’avais rêvé longtemps d’obtenir votre place.

On me l’avait promise, et voilà que j’apprend

Tout à coup qu’un marin — c’était vous — parcourant

Ce rivage, est nommé le gardien chef du phare!…

— C*est là, pauvre garçon, le sujet qui t’effare?

— Oui, maître, sur l’honneur…

— Ah! si tu connaissais Le mal de Kernevel et jusqu’où va l’excès De sa douleur, Pen’bern, et sa pénible histoire, . Ce beau poste envié paraîtrait dérisoire!…

— Mais pourquoi l’avoir pris? Vous pouviez refuser! -— Le devoir était là… C’eût été m’accuser,

Pour la première fois, de méconnaître un ordre. J’obéis, et je vins, sans trembler, sans démordre. Mais va, rassure-toi, Pen’bern, je me sais vieux… Pour ton ambition tout doit aller au mieux. Dans mes veine’-, je sens un frisson qui me glace… Un avenir prochain te donnera ma place!… »

Et l’autre, simulant un visage serein, S’inclina lentement et lui serra la main.

 

VI

A Sizun, quatre mois s’étaient passés à peine, Et déjà Kernevel oubliait qu’une haine Implacable veillait dans l’ombre contre lui… Prenant à coeur sa tâche et voulant de l’ennui Et des regrets mortels vaincre la froide étreinte, îi allait tous les jours, sans redire une plainte, Surveiller l’horizon, visiter les fanaux, Dresser les appareils, préparer les signaux; Puis, à l’heure où la brume étendait sur les vagues Ses voiles sinueux, ses grandes ombres vagues, Escorte de Pen’bern, il rallumait les feux Qui révélaient au loin les écucils dangereux.

Blanche étoile des flots, ô Phare tutélaire,

O feu consolateur et sacré, flamme claire

Qu’invoque le marin, frémissant, anxieux,

Livré soudainement aux ténèbres des deux,

Aveuglé par la houle écumante des lames,

N’ayant pour tout salut qu’une planche et deux rames,

O Phare, que de foisju vinsjrendre l’espoir

Au naufragé pcr^û^iV’miH’Q^can noir,

 

Qui n’apercevant plus le port ni le refuge,

Déjà tombait aux pieds du formidable Juge!

Le capitaine, froid, tel qu’aux jours des combats,

Donnait l’ordre fatal de renverser les mâts;

La femme sur son sein serrait un enfant blême,

Et, folle, murmurait la plainte qui blasphème;

Les vagues gémissaient avec de grands coups sourds,

Les voiles battaient l’air comme un vol de vautours,

Le canon vomissait ses clameurs sépulcrales,

Et le vaisseau sombrait sous l’assaut des rafales!.,.

Mais tout à coup du ciel l’ombre se déchirait, •

Le phare tout en flamme à l’horizon vibrait,

Et saluan.t enfin sa lumière.bénie,

L’équipage adorait la clémence infinie

De ce Dieu, dont le geste arrête seul la mer…

Kernevel, ce vaillant, ce rude homme de fer,

Avait saisi bientôt la grandeur de son rôle.

Il se disait souvent, en parcourant le môle

Qui précédait le phare et dominait les flots :

« Sans moi qui chaque soir allume ces falots,

Que de bateaux,perdus et combien de naufrages!

Si jamais un vaisseau, lancé dans ces parages

Par un soir de tempête, au lieu d’une lueur

Protectrice, n’avait que l’ombre et que l’horreur

Des orageuses nuits… Si jamais, par ma faute,

Le phare éteint laissait se briser sur la côte

Un navire ignorant l’approche de recueil…

Quel affreux coup pour moi, quelle douleur, quel deuil !

 

Je ne survivrais pas un instant à ce crime!… Mais je suis là, je veille, et, Dieu merci, j’exprime Une crainte impossible, un danger inconnu… Ne sachant qu’obéir, Kernevel est venu Prendre docilement ce poste difficile.- ‘_Il s’est juré d’ailleurs, la main sur l’Evangile, D’étouffer ses regrets, d’oublier ses.chagrins, Pour consacrer ses jours à ses frères marins;- Et comme il croit qu’au ciel commande la Justice, Kernevel confiant compte sur saint Maurice, Sur le patron fameux de son ancien \aisseau, Qui sait comme il pleurait en perdant,son berceau! Oui, c’était mon berceau, cette vieille demeure… Allons bon! taisons-nous, car voilà que je pleure! »

Un soir qu’il s’endormait d’un lourd sommeil de plomb,

Du phare ayant quitté le dernier échelon,

Il eut — hasard étrange! — un ell’royablc rêve…

Au milieu des éclairs il crut voir sur la grève

Des morts se relever, le menacer du doigt,

Et, les yeux flamboyants, à son lit aller droit,

Lui criant : « Kernevel, qu’as-tu tait de tes frères?.. »

Puis secouer sur lui les plis de leurs suaires!

Il se lève d’un bond, hissonnant, égaré, Fou de douleur, et sort d’un pas mal assuré. Ce qu’il voit d’un coup’d’oeil le frappe d’épouvante. Une tempête éclate.,, il pleut, il tonne, il vente…

 

Et — déshonneur sans nom! ô honte, ô désespoir!

— Le phare s’est éteint… tout l’horizon est noir!

« Vous étiez donc, fondés, ô présages funèbres?… Mais qui les a créés, ces voiles, ces ténèbres?

La main d’Un ennemi?… qui sait, le doigt de Dieu?

La tempêter la foudre?… Ah! qu’importe, pardieu! On verra ça tantôt…

Il faut, coûte que coûte, Rallumer avant tout le phare…

Allons, en route! Vite!… Là-bas on crie, on appelle au secours…

Courage, mes amis… Je vous entends… j’accours!… »

La jetée était longue et livrée à la rage

De la mer déchaînée et dii terrible orage

Qui combattait alors dans les plaines des deux.

Vous seuls, démons des nuits, vous dont les fauves yeux,

Pleins d’éclairs menaçants, avaient trouvé leur proie,

Aux échos vous avez murmuré votre joie,

Et dans l’ombre jeté des rires insultants

Devant cet homme en lutte avec les fiers autans!

Mais derrière la foudre, au delà des nuages,

Au milieu des soleils, sur de célestes plages,

Des voix d’anges chantaient la gloire de celui

Qui pour des inconnus s’immolait aujourd’hui!…

Vingt fois le flot cruel le jette sur la pierre,

Vingt fois le vent fougueux le ramène en arrière,

 

Vingt fois il croit entendre un démon ricaner

De ses tristes efforts, rien ne peut dominer

L’homme, dont l’Océan croyait faire capture.

Il surmonte l’assaut de toute la nature,

Il pose enfin sa main sur le phare sauveur,

L’étrcintcomme un ami, puis lui rend sa lueur!

Mais d’où vient cette voix qui se lamente et prie i

Un homme se débat dans la mer en furie…

c C’est moi, Pen’bern, dit-il… Au nom de l’amitié,

Kernevel, sauve-moi… Grâce, pardon, pitié!…

Dieu me punit, hélas!… Je suis un lâche… un traître!

J’avais éteint les feux… espérant que le maître,

En accourant ici, serait frappé de mort…

C’est moi qui vais mourir… prends pitié de mon sort!

— Quoi! tu voulais, Pen’bern, me tuer par envie?

Ah! je vais me venger… non, te sauver la vie!… »

Ne voyant plus le sang qui sillonnait sa chair,

Le brave Kernevel s’élance en pleine mer,

Nage droit à Pen’bern, et, de ses mains puissantes,

Le dérobe au courroux des vagues rugissantes…

Mais ce dernier effort et ce penser navrant

Qu’on pouvait le tuer en le déshonorant

Ont brisé Kernevel, ont foudroyé son âme…

Et tandis que Pen’bern, tandis que cet infâme,

 

Tremblant de son forfait, n’ose lever les yeux,

Le vieux marin adresse une prière aux deux…

Une lame du fond de l’horizon arrive,

Entoure Kernevel et l’arrache à la rive;-

Et Pen’bern, pâle, entend ce cri qui sort des flots :

« Prends pitié comme moi des pauvres matelots!… »

Q4 la Pointe du <!&$, 3o octobre /S70.


La révolution n’a pas eu lieu : Henri Welschinger et le phare dans la poésie du XIXe siècle

La France du XIXe siècle subit autant de révolutions politiques qu’artistiques. Dans une période troublée et turbulent, ceux qui tiennent le drapeau d’un mouvement, soit politique, soit artistique, se retrouvent, pour les historiens et chercheurs de nos jours mise en lumière. Ce sont, pour reprendre l’expression baudelairienne, les phares. Et pour cause, car il sera aux poètes tels qu’Hugo,Baudelaire et Mallarmé de décider la progression de la poésie française pour les siècles à venir. Pourtant, ils ne sont pas les seuls à écrire de la poésie pendant cette période. Sur ce point, comme ils sont pour la plupart particulièrement singuliers dans leur grandeur, ils ne donnent pas autant une image de la société du moment dans laquelle ils écrivent, mais de celle à venir. Ils sont les avant-coureurs, l’avant-garde avant la lettre.

Où et comment devrait-on classer alors les poètes mineurs et les poèmes académiques dans les révolutions du XIXe siècle ? Quel aperçut nous donnent-ils sur le monde dans lequel ils ont vécu ? C’est dans leurs vers finalement que l’on découvre les formules reprises des phares, que l’on rencontre des personnages-types et qu’on découvre les pays déjà bien connus depuis des siècles. On comprend dans leur poésie ce qui est standard et standardisé, ce qui est sans doute démodé, mais à la fois toujours à l’esprit du public.

Cette étude focalisera sur la complexification d’un terme déjà évoqué ci-dessus, le phare, à travers les révolutions de cette époque. Le phare est un lieu parfois symbolique, parfois concret autant qu’il est un phénomène technologique notamment révolutionnaire au XIXe siècle. La modernisation du phare sous la direction d’Augustin Fresnel et son frère Lionel crée un nouveau système d’éclairage des phares qui, à partir des années 1820s, sera exporter partout au monde. Cette révolution technologique sans pair réussira à sauver des centaines des milliers de vies en construisant une ceinture lumineuse qui longe la côte de la France. Ce système architectural ajoutera pas moins de quatre-vingt-quatre phares à cette côte aux neuf qui s’y trouvaient déjà.

Puisque cette révolution, ou bien évolution, technologique change très visiblement la littorale française, et comme le voyage, la ville et la nature sont si présente dans la poésie de cette époque, il serait tout à fait logique d’attendre l’apparition des phares dans cette poésie. Malgré la véritable révolution technologique des phares en France, la poésie qui les évoque ne dépasse que rarement l’interprétation purement symbolique des structures, si les feux possèdent même une telle structure.

Augustin Fresnel et la ceinture lumineuse

Parmi les nombreuses révolutions militaires, politiques et artistiques, sont placés les événements de la révolution industrielle. Du progrès dans les sciences éclairent la voie pour le développement et révolution de certaines technologiques qui ne suffisaient plus. Particulièrement dans le milieu maritime, le XIXe siècle voit apparaître des bateaux de plus en plus grands, mais une littorale aussi dangereuse qu’autrefois. Un voyage en mer n’était qu’à peine plus sûr qu’il était deux mille ans auparavant. Certes, les navires traversaient l’Atlantique, ce qui était une différence colossale. Mais la plupart des naufrages ne se passaient pas en mer, mais plus près des côtes qui étaient pour la plupart à l’époque non-illuminées.

Dans son livre A Short Bright Flash : Augustin Fresnel and the Modern Lighthouse, Theresa Levitt propose que la risque de mourir en mer était un phénomène récurrent jusqu’au XIXe siècle :

“Shipwrecks, a constant fact of life in those days, almost inevitably meant death, since most sailors didn’t know how to swim and rescue services hardly existed. It is impossible to know exactly how many ships went down because governments did not start keeping track until the middle of the century, but evidence suggests that the numbers were high. The insurer Lloyd’s of London reported on its books that 362 ships were “wrecked” or “missing” for the year 1816 alone. In France, two naturalists counted nearly a hundred French ships that disappeared every year just in the English Channel in the period 1817-1820.” (Levitt 14)

Les marins de l’époque savaient que la mer ne représentait qu’un obstacle. La vraie menace était la terre. Selon Levitt, “It may have been unnerving to leave the safety of the coastline behind and see nothing but water on the horizon ahead, yet as every sailor knew, it was the land that could kill you” (idem). La réponse à cette menace était sûrement le phare, mais ils n’étaient pas légions.

Au début du siècle, la France possédait neuf phares dont quatre construit au XVIIe siècle et cinq construit au XVIIIe. Tout comme les voyages en mer, les phares n’avaient pas non plus progressé énormément depuis l’époque d’Horace. Il faut avouer que les Romains avaient construit des phares très sophistiqué pour l’époque. Il s’agissait des tours en pierre sur lequel un énorme feu de bois ou de charbon brûlait pendant toute la nuit. Le XIXe siècle venu, inspirés par des théories d’Isaac Newton sur la lumière des scientifiques et amateurs faisait lutter pour créer le meilleur système d’éclairage. Aux années 1810, un jeune ingénieur au nom d’Augustin Fresnel se battrait à travers plusieurs révolutions et mutations pour regagner la mer et son travail sur l’optique.

Le texte de Theresa Levitt présente le cas des phares au XIXe siècle avec un exemple singulier : celui de La Méduse. Le naufrage de La Méduse en août 1817 était si bien connu grâce aux discours et présentations publiques des survivants. Selon Levitt, la réponse artistique à l’événement était le tableau célèbre de Géricault Le radeau de la Méduse, peint entre 1818 et 1819. La réponse scientifique, la réponse qui correspondait aux révolutions scientifiques et politiques de son époque, était d’améliorer le phare.

Augustin Fresnel, obsédait par les mathématiques, comprenait par les lois de la physique que les systèmes de réflecteurs paraboliques et de miroirs qui avaient modernisé le phare dans les décennies auparavant, étaient toujours très loin de ce qui était nécessaire. Les marins, manifestement, le savaient également. En 1820, Fresnel répond enfin à leur demande en créant sa lentille à échelons (connue aujourd’hui sous le nom de la lentille Fresnel). Cette lentille multiplie la puissance de la lumière en la réfractant, au lieu de la réfléchir. En plus de ceci, Fresnel présente cette lentille avec un système de rotation déjà en usage. Alors que la lentille tournait, chaque phare allait avoir son propre signature, caractérisé par le rythme de ses éclats. Un navire pourrait alors reconnaitre le phare en pleine nuit par sa signature, enfin distincte grâce à Fresnel.

L’importance, donc, est l’effet bouleversant qu’aura cette innovation sur la littorale française. Non simplement est-ce que ce système a réduit énormément le nombreux de vies perdues en mer, mais la protection des côtes de France deviendra une des premières priorités de la révolution industrielle. L’ingénieur Fresnel, avec l’explorateur François Arago, l’astronome Claude-Louis Mathieu forment la Commission des phares avec la mission d’améliorer la qualité des feux. Leur idée sera l’initiation d’un projet de ceinture lumineuse sur la côte. Ils établissent un classement des phares selon leur puissance et location et les alternent afin d’assurer de la visibilité tout au long de la littorale française. Leur système transforme une France à 24 phares et feux (c’est-à-dire des petites lumières aux ports, sur des balises, etc.) en 1800 à celle ayant « 59 en 1830, 169 en 1839, 275 en 1864, 330 en 1872, 361 en 1883, 690 en 1895 » (« Les phares des côtes de France du XVIe au XXe siècle » 3). Suite aux Lumières du XVIIIe siècle est venu un siècle aussi brillant. Pendant les années 1800 en France, la mer brille de plus en plus chaque année.

Quel rapport, alors, a cette révolution lumineuse sur la poésie du XIXe siècle ? Pour un moment dans lequel l’art poétique se popularise et se mélange davantage dans le monde quotidien des citoyens, dans la France de son époque, les phares occupent de plus en plus d’espace. Pour les voyageurs en bateau, ils appariaient dans les ports et sur la côte. Aux provinces maritimes, ou sur la Manche ou sur la Méditerranée, et sur les îles, les chantiers prennent de la place et donnent du travail aux locaux. Le phare, équipé d’un ou deux gardiens, va d’une obscurité mythique à une nécessité permanent.

En littérature, pourtant, le phare n’est pas aussi commun que l’on pourrait croire. En prose, il n’apparaît que rarement à partir des années 1850 dans les œuvres de tels auteurs que Victor Hugo et Guy de Maupassant entres autres.[1] Dans la poésie, le phare occupe un double sens ; il s’agit de l’espace confus entre phare métaphorique et phare concret. Finalement, la poésie du XIXe siècle maintient le phare métaphorique, symbolique beaucoup plus que le phare concret. Dans les exemples suivants il sera évident que les phares poétiques de cette époque n’évoluent pas autant que le phare réel dans la France dans laquelle ils écrivent.

Définition du phare et quelques exemples poétiques du XIXe siècle

Le phare défini en 1747 dans le Dictionnaire néologique de Desfontaines est déjà une « métaphore brillante où il n’y a point d’enflûre » (Defontaines 140). Desfontaines donne l’exemple de Rome : « […] parlant des marbres Capitolins, dit ; « Ce phare qui luit encore aujourd’hui au haut du Capitole, nous sert à guider nos pas au travers des siècles de la République » (idem). Par 1873 et le dictionnaire Littré, la première définition approche au domaine maritime : « Tour dressée sur un cap, sur un point éminent d’une côte, sur la jetée d’un port, et portant à son sommet une lanterne où s’allume, pendant la nuit, un feu connu des navires qu’il guide au milieu des ténèbres » (Littré « Phare »). Le mot phare ne représente plus une merveille antique ou une ruine romaine mais une présence architecturale dans la vie des Français du XIXe siècle. Mais apparaît-il ainsi dans leur poésie ?

Le premier exemple qui vient à l’esprit serait sans aucun doute le poème de Charles Baudelaire, « Les Phares » publié en 1857 dans Les Fleurs du Mal. Il se sert de la définition métaphorique partout en comparant les génies d’autrefois aux phares qui guide le poète. Son phare est « […] un phare allumé sur mille citadelles […] », alors même pas une image maritime (Baudelaire v. 35). Auguste Lacaussade reste également dans le domaine de la métaphore avec son poème « Le Piton des Neiges » publié en 1839 dans Les Salaziennes. Il écrit : «  Et quand l’aube ou la nuit vint sourire à la terre, / Dans le vide étoilé tu brillas solitaire, / Comme un phare aux reflets doux et mystérieux (Lacaussade « Le Piton …»). Les phares sont comme des feux, des lumières fortes qui guident. Ils ne se trouvent pas forcément sur une côte, ni même dans une tour élévée. Il s’agit d’une lumière métaphorique.

Pour d’autres, le phare est tout d’abord un phare concret. Dans Les Nouvelles Méditations Poétiques d’Alphonse de Lamartine, le poète évoque une scène qu’il décrit également dans ses cahiers. Un phare d’Ischia, en Italie :

« Vois-tu ce feu lointain trembler sur la colline?

Par la main de l’Amour c’est un phare allumé;

Là, comme un lis penché, l’amante qui s’incline

Prête une oreille avide aux pas du bien-aimé! »

(Lamartine Ischia)

Sa description est particulièrement intéressante. Un feu qui tremble sur une colline évoque un ancien type d’éclairage des phares qui pré-date les lentilles à échelons de Fresnel. La description est justifiée par l’année de publication des poèmes. En 1823 Fresnel serait venu de présenter ses idées devant l’Académie des sciences. Le phare prend un air symbolique après le premier degré, et étant lié à l’Amour.

Théodore de Banville suit le modèle de Lamartine avec son poème « La voie lactée » de 1843. Son phare guide les pâles matelots et rayonne dans la nuit sur des alpes de flots !

Phare qui, pour guider les pâles matelots,

Rayonne dans la nuit sur des alpes de flots!

(Banville « La voie lactée »).

Carrément dans le domaine maritime, Banville évoque un phare concret qui sert à quelque chose de spécifique : guider les jeunes marins. Sa lumière est contre la violence de la nature. Il s’agit d’une courte référence dans un très longue poème, mais une référence au premier degré des phares physiques sur les côtes.

Tout ceci laisse Victor Hugo, chez qui l’on voit apparaître des phares dans sa peinture et sa prose autant que dans sa poésie. Le premier exemple se trouve dans « Lorsque l’enfant paraît », un poème de Les Feuilles d’automne publié en 1831. Le phare est ici en comparaison avec l’aube : « Si l’aube tout à coup là-bas luit comme un phare, / Sa clarté dans les champs éveille une fanfare / des cloches et d’oiseaux ! » (Hugo « Lorsque […] »). L’aube apparaît sur l’horizon et qui luit comme un phare avec une certaine clarté. La clarté du phare réveille l’esprit qui rêve. Le phare éclaire comme le jour.

Le phare apparaît encore dans d’autres poèmes d’Hugo. Dans « Magnitudo parvi » et « A celle qui est voilée » de Les contemplations il se présente sous forme de métaphore et de comparaison. Dans ces poèmes le phare est une clarté au gouffre « où l’être flotte et fuie », dans le cas du « Magnitudo Parvi » et une clarté dans la tourmente du poète dans « À celle qui est voilée ». Les phares sont des feux qui coupe l’obscurité, parfois lié à des yeux, ces deux clartés du deuil. Chez Hugo, il semble que le phare aurait toujours un sens métaphorique, symbolique, et que parfois un sens concret.

L’exemple du phare dans la cinquième partie de « XII. Les sept merveilles du monde » semble établir une équivalence entre les naufrages du XIXe siècle et ceux de l’antiquité. « V. Le phare » fait le profil du phare d’Alexandrie, en Égypte. Ou bien, pas autant le phare mais le monde sans phare. Il évoque les naufrages, les dangers des siècles et des siècles d’horreurs en mer. Il semble reprendre l’évaluation de Levitt sur les voyages en mer du XIXe siècle : voyager ou travailler en mer venait toujours avec une menace de mort. Les marins partaient à la mer même en Antiquité, comme l’on voit chez Horace, tout comme au XIXe siècle. Mais prendre le large dans un monde sans phare semblait inviter « Une foule d’instants terribles ou suprêmes » :

Et c’était la pitié du songeur que de suivre

Les pauvres nautoniers de son œil soucieux ;

Partout piége et naufrage ; il tombait de ces cieux

Sur l’esquif et la barque et les fortes trirèmes

Une foule d’instants terribles ou suprêmes ;

Et pas une clarté pour dire : Ici le port !

(Hugo « V. Le phare » p. 300-301)

 

L’obscurité de ce moment de l’histoire, ce moment sans « clarté pour dire : Ici le port ! », définit toute une partie de l’histoire humaine. Il y a un avant-phare et un après-phare, selon le poème d’Hugo :

C’est alors que, des flots dorant les sombres cimes,

Voulant sauver l’honneur des Jupiters sublimes,

Voulant montrer l’asile aux matelots, rêvant

Dans son Alexandrie, à l’épreuve du vent,

La haute majesté d’un phare inébranlable

À la solidité des montagnes semblable,

(Hugo « V. Le phare » p. 306-307)

 

Hugo évoque un monde insuffisant, trop obscur sans l’aide des humains. Il termine son poème sur le phare d’Alexandrie en disant que le feu qu’on ose créer illumine : « Sur les eaux, dans les nuits fécondes en désastres, // À l’inutilité magnifique des astres » (Hugo « V. Le phare » p. 307). Le phare est symbole de la force humaine et son combat contre la nature. Il pareille que les astres sont donnés, mais il fallait que l’homme soit aussi conscient de sa place dans le monde pour créer le phare.

Dans Les Orientales publié en juillet 1836, Hugo évoque un naufrage. Le poème « XXIV. Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir » fait partie de Les Voix intérieures, présente un orage, un naufrage et un marin perdu en mer. La mer est tempétueuse, les vents et la houle font un chaos qui se présente avec un champ lexical de l’obscurité. Il s’agit d’une scène dans laquelle l’obscurité prend la place de la lumière et les résonances de tempête prennent place d’une tranquillité en mer.

Le poème fait preuve d’une forte personnification de la nature. Elle a une voix profonde / Qui pleure toujours / et qui toujours gronde, et cette voix augmente d’un bruit sourd jusqu’un vent qui déchire la toile. Au sein d’une crise, Hugo appelle aux désirs des nochers et matelots perdus en mer :

C’est toi, c’est ton feu
Que le nocher rêve,
Quand le flot s’élève,
Chandelier que Dieu
Pose sur la grève,
Phare au rouge éclair
Que la brume estompe !
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe

(Hugo « XXIV» v. 37-45)

 

Le poète évoque la deuxième personne dans la dernière strophe : « c’est toi, c’est ton feu / que le nocher rêve » (XXIV v. 37-38). Le toi dans ce contexte n’est pas explicite, mais intégralement important à la compréhension du poème. C’est Dieu, c’est l’état français, ou bien c’est une autre force, l’important ici est que les perdus en mer rêve de voir la lumière du phare, quoique estompé par la brume. Le phare, ici avec son rouge éclair est un symbole qui sauve, mais également un phare concret que Dieu aurait posé sur la grève. Les vers courts en pentasyllabes crée un effet haletant et brisé et donne l’effet des vagues qui frappe au visage, qui retiennent la respiration d’un marin à l’eau. La voix passive des vers 37-38 (ton feu qui précède que le nocher rêve) que l’on qualifie dans les vers suivants (chandelier que Dieu / Pose sur la grève, / Phare au rouge éclair) ajoute à ce sentiment coupé, qui essaie de dire ce que l’on ne peut pas dire sous la force de la nature. La forte personnification de la nature et l’aspect sauveur d’un véritable phare font que ce poème romantique est parfaitement de son époque. Si les matelots auraient rêvé d’être sauvé dix ans auparavant par Dieu lui-même, en 1836, une dizaine d’années après l’entreprise de la ceinture lumineuse, ils cherchent simplement l’éclairage d’un phare sauveur sur la côte.

Il est évident alors que la poésie du XIXe siècle présente le phare à la fois comme un symbole, comme une métaphore, mais également souvent dans le domaine maritime. Si le phare n’est pas toujours soit disons un phare comme l’on construisait à l’époque, il est tout de même présenté comme une figure qui sauve ou bien qui est là pour sauver. Ce qui est intéressant c’est que le phare, quoique mis en place pour sauver, est souvent au-dessous de ces intentions. Le phare évoqué dans « XXIV. Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir » est voulu, mais reste un aspect rêvé du poème. Dans « V. Le Phare », le phare arrive mais l’on n’explique pas d’avantage le cas des marins en mer. Le phare prend sa place sur la côte symbolique et littérale du XIXe siècle, mais il semble que, d’après les exemples présentés ici, il symbolise davantage l’espoir, ou la possibilité d’être sauvé, que le fait d’être sauvé ou vraiment plus en sécurité en mer.

« Le phare » d’Henri Welschinger

Le poème « Le Phare » d’Henri Welschinger est un poème sur trois qu’a écrit le futur archiviste de l’Assemblé Nationale à la fin des années 1870 et au début des années 1880. Il semble passionné par la mer et ses personnages, ayant écrit ici sur un phare et son gardien, sur le sabot d’un mousse et sur une expression maritime. Son intérêt pour les figures de la mer semble autant par curiosité que pour la potentielle allégorique que ces personnages, ces navires et ces structures pourraient avoir dans sa poésie. Nous n’avons pas suffisamment de ressources biographiques sur Welschinger pour savoir s’il avait passé du temps près de la mer, car il est curieux qu’un Alsacien éduqué et embauché à Paris aurait pris du contact avec qui que ce soit au nom de Corentin. Les détails de ce poème, parfois troubles, ne nient pas l’effet final. Comme Horace de son époque, Welschinger s’interroge sur l’état de la nation et les orages potentielles à venir. Où Horace évoque le courage de ceux qui prennent le bateau, Welschinger évoque un homme de mer qui courageusement s’occupe du phare.

Dans la première partie du poème, le poète présente Corentin Kernevel, « un vieux marin, au front audacieux, au cœur d’un triple airain » (Welschinger 7). Il est courageux et qui n’a pas peur de la mort, car Dieu le prendra quand il le veut. Il a voyagé partout au monde à bord le Saint-Maurice qui est devenu son foyer. Mais dans la deuxième partie il est appelé par le capitaine qui lui dit qu’il quittera bientôt le bateau car il a été nommé gardien du phare de Sizun. Il est déçu, mais il accepte le poste car on ne discute pas son devoir (Welschinger 10). Les troisième et quatrième parties présentent le phare de Sizun et ses environs sauvages et le devoir de Kernevel : il « devait être un héros en ce lieu » (Welschinger 14).

Dans la cinquième partie du poème, il arrive enfin au phare où il rencontre Pen’bern, qui l’insulte dès son arrivé. Ce dernier dit que c’était en geste, mais quelques vers plus tard il lui réponde finalement qu’il avait « rêvé longtemps d’obtenir votre place / On me l’avait promise, et voilà que j’apprends / tout à coup qu’un marin – c’était vous – parcourant / Ce rivage, est nommé le gardien chef du phare ! » (Welschinger 16). Ils en discutent et finissent en se serrant la main. Quatre mois plus tard, les deux s’entendent bien et travail toujours ensemble. La sixième partie, beaucoup plus long que les autres, inclut une éloge à la lumière du phare de plus de vingt vers. Kernevel s’inquiète que le phare s’éteigne et il fait un cauchemar. Il se lève en plein tempête et découvre que le phare s’est en fait éteint. Il court sur le jette pour le rallumer le phare. Il entend des cries dans l’eau où Pen’bern, ayant éteint les feux « espérant que le maître, / En accourant ici, serait frappé de mort … » (Welschinger 21). Kernevel nage pour sauver le traître, mais l’effort et le déshonneur le brise. Une lame vient « du fond de l’horizon » et le tire dans la mer. Pen’bern, sauvé, l’entend crier : « Prends pitié comme moi des pauvres matelots ! … » (Welschinger 22).

Il s’agit avant tout d’un poème néoclassique écrit tout à fait dans la règle de l’art de Boileau. Le poème est écrit en alexandrin avec des rimes suivis. Parfois les longs passages de dialogue rappellent fortement les tragédies classiques de Racine ou de Corneille, simplement sans didascalie. Cette forme, tout à fait démodé à l’époque dans laquelle il écrit, rappelle à une France de l’Ancien Régime : très riche, financièrement et au niveau artistique, très encadrée par les règles imposées et particulièrement glorieuse dans son portrait.

La question se pose, alors, pourquoi écrit-il de la poésie néoclassique vers la fin des années 1800 ? Particulièrement car la poésie française aurait déjà traversée plusieurs mouvements, voir véritables révolutions artistiques, depuis le début du siècle, ayant passé par le romantisme, le mouvement parnassien et le symbolisme qui régnait au moment de la rédaction du poème de Welschinger. Caroline Dauphin de l’ENS Paris considère justement cette question dans son article « La poésie néo-classique en France et en Angleterre : entre continuations et contradictions » dans Comparatismes en Sorbonne. Dans le résumé de son projet, Dauphin écrit :

Neoclassical poetry has an ambiguous relationship with the past, as it is torn between the project of perpetuating the canon and the thirst for novelty: a design which is not contradictory, but harmonized through the ideas of the Enlightenment and a very rich historical period. (Dauphin 1)

 

La poésie néoclassique existe dans un espace paradoxal, coincé entre le progrès présent et la loyauté au passé. Ce sont, justement les questions posées pendant une révolution : devrait-on être loyal au passé ou devrait-on changer pour le futur ? Comme dit Dauphin : Arrière-garde ou avant-garde ? (Dauphin 1). Il n’y a pas une seule réponse à cette question, particulièrement pour le cas de Welschinger. Il faut comprendre que d’abord, il n’est pas un grand poète tel que Hugo ou Mallarmé, ceux qui tient le drapeau lors des grands révoltes artistiques du XIXe siècle. Il écrit de la poésie, mais elle se base principalement sur son éducation classique. Il est cette éducation et sa compréhension et son intérêt de l’histoire qui inspire ce poème. Pourtant, comme on verra dans l’analyse suivante, il ne saute pas entièrement les autres mouvements du XIXe siècle. Contrairement, même, alors qu’il intègre les thématiques du romantisme dans sa poésie ; particulièrement sur la question des phares, sa compréhension d’Hugo est sans pair. Encore d’après Dauphin :

« Le néo-classicisme n’est pas simplement un post-classicisme, qui serait l’imitation servile des Anciens, mais plutôt un renouvellement imposant un traitement original de la matière antique et des modèles qui le précèdent. Derrière le refus de la simple continuité, il faut voir une volonté secrète de refonder le canon classique » (Dauphin 1)

Dans la première partie de mon analyse du poème, je montrerai la manière dont la forme néoclassique adopté par Welschinger correspond à un traitement original du sujet de la mer et des phares dans un modèle antique.

Le fait d’écrire un poème en alexandrin n’est pas inconnu au XIXe siècle. Le noble alexandrin fait partie des œuvres d’Hugo et de Baudelaire et de Lamartine.[2] Si ces poètes ancraient leurs vers révolutionnaires dans un des éléments du lyrisme classique, c’était pour avancer leur usage. Pour « Le Phare », il s’agit d’un poème en alexandrins classiques avec l’hémistiche après le sixième syllabe. L’épigraphe déjà évoquée ci-dessus démontre un lien fort entre le poète et les œuvres d’Horace. Comme ce dernier qui était un des grandes inspirations pour L’Art Poétique de Boileau qui pour sa part en 1674 instaure l’alexandrin classique comme standard codifié pour toute la littérature française, les vers de Welschinger suivent sa méthode. L’alexandrin commence dès les premiers vers et continuent tout au long du poème :

« Corentin Kernevel était un vieux marin

« Au front audacieux, au cœur d’un triple airain,

« A qui jamais les cris aigus de la tempête,

« Ni les flots de la mer qui montaient jusqu’au faite […]

(Welschinger 1)

Écrire en alexandrin ajoute du poids et un aspect majestueux au sujet choisi. Les héros ressemblent davantage aux héros de l’antiquité et leur devoir est renforcé, rendu plus important. La forme permet une simple association des traits par des rimes suivis. Comme Boileau associe l’écrivain avec le divin dans le premier chant de L’Art Poétique : « Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin / Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain », Welschinger fait avec le personnage de Corentin (Boileau 209). Dans la présentation de Kernevel, marin rime avec airain pour renforcer son caractère dur et hardi. Plus loin dans la première partie, ces rimes suivies deviennent suffisantes et riches.

« Depuis trente ans au moins le marin, le vaisseau

Ne s’étaient pas quittés. Tous deux, toujours sur l’eau,

Avaient joyeusement enduré la colère

De l’Océan fougueux, les vents et le tonnerre,

Et les noirs ouragans que vomissent les cieux.

Porté sur le sommet des flots impérieux,

Ou couché sur le flanc de la mer irritée,

Ou tranquille voguant sur la vague domptée,

Le Saint-Maurice était pour Kernevel le toit,

Le foyer, la maison, le refuge, l’endroit

Préféré, le nid cher à sa vieille habitude,

Le lieu le seul exempt de toute inquiétude »

(Welschinger 8)

 

L’océan est rendu encore plus violente en rimant colère avec tonnerre, cieux et impérieux, irritée et dompté. Le Saint-Maurice est sa domaine, mais le poète indique dans la forme du poème que ceci ne durera pas en rimant habitude et inquiétude à la fin du vers. Plusieurs fois dans le poème, le poète revient aux rimes qui joue avec l’idée du destin, et un destin mortel : dans la première partie il y a mort et sort, Corentin et destin dans la deuxième partie et à la toute fin de la troisième partie le poète rime mer avec enfer, ce qui annonce la fin inévitable de Corentin (Welschinger 7, 9, 12).

L’alexandrin permet le poète d’intégrer d’autres éléments bien connus des dramaturges dans son dialogue, notamment la stichomythie. Il s’agit d’une série de vers ou de répliques qui se répondent. Ceci ajoute à l’agitation, à l’énergie de la scène ; elle met une croissance d’émotion dans la scène ou le passage. Dans le cas de « Le Phare », il y a deux passages qui adopte une versification alternative qui ressemble beaucoup à la stichomythie de la tragédie classique.[3]

Le premier exemple a lieu dans la deuxième partie du poème alors que le capitaine appelle Kernevel pour lui parler de sa mutation.

« Un jour le capitaine appela Kernevel :

« Ce que tu vas savoir, dit-il, sera cruel

Pour toi, mon pauvre ami, mon pauvre camarade.

– Pourquoi, dit le marin, me faire une algarade ?

Ai-je commis du mal ? …

Et tout son corps tremblait.

« Cent fois non.

­– Mais alors ?… »

Ses yeux, quand il parlait,

Fixaient le capitaine, âme loyale et franche,

Celle-là s’il en fut !…

« Il faut que je m’épanche

A l’aise devant toi, mon brave Corentin.

Vois-tu… chacun de nous, hélas, a son destin » (Welschinger 9)

 

Finalement cette versification ne permet l’échange de deux bouts de dialogue (donc Cent fois non et Mais alors ?), pourtant l’effet est similaire. Le poète crée un effet d’accélération et une augmentation anxieuse en attendant le mot du capitaine. L’effet est créé non simplement par la division des vers dans la mise en page, mais en liant les actions décrites par le narrateur aux répliques des deux personnages. La phrase Ai-je commis du mal ? accompagné de la description de son corps tremblant complète la scène sans ralentir le dialogue très tendu. Cette versification laisse la place à une enjambement dans l’avant dernière phrase : Il faut que je m’épanche / à l’aise devant toi, mon brave Corentin. Le verbe épancher se vide dans le vers suivant alors qu’on attend l’information précieuse. La mise en page donne un effet maritime, comme une série de vagues qui frappe le bateau. Le ton accélère et la tension monte alors que l’on attend le destin de Corentin.

Le deuxième exemple débute la cinquième partie du poème. Kernevel arrive pour la première fois au phare où il rencontre Pen’bern.

« Quand le vieux matelot aperçut la tourelle

Du phare de Sizun, une angoisse nouvelle

Le prit au coeur… Il fit, ému, les derniers pas.

 

« Enfin te voilà donc!… Vrai, je ne croyais pas

Qu’on se faisait prier pour rejoindre son poste ! »

Dit une grosse voix.

L’autre aussitôt riposte :

« Comment s’appclle-t-il, celui qui parle ainsi

A Kernevel?

— Pen’bern, ton second.

— Grand’merci!

Mais apprends sans tarder que moi seul je commande,

Et que je n’entends point qu’un second me gourmande !

— Tu prends mal mon accueil… Voyons, je plaisantais.

— Je ne ris pas.

— Allons?

— Silence!…

— Je me tais. »

Kernevel regarda Pen’bern devenu pâle,

Et pâle comme un mort sous son masque de hâle.» (Welschinger 15)

 

L’effet de ces vers ressemble au passage précédent. Dans un moment de conflit, de dialogue, la versification alternative donne une énergie et une intensité croissante aux vers. La première rencontre de ces deux gardiens de phare est tendu, une vrai confrontation. Welschinger se sert des anciens outils des dramaturges classiques pour créer un va-et-vient entre les deux hommes qui rappellent l’entrée sur scène de Don Diègue et Le comte dans Le Cid de Corneille. Par la mise en page et le dialogue haletant de ces deux passages le poète établit un parallèle entre ces personnages et les personnages dans le théâtre classique connus aux lecteurs depuis deux cents ans.

Par le vers en alexandrin classique, les rimes suivis et les passages en stichomythie la forme du poème « Le Phare » fait appel aux poèmes et pièces d’autrefois. En se servant des outils des écrivains classiques, il rend les conflits et devoirs et destins de ses personnages plus nobles et plus sérieux. Corentin Kernevel est un héros comme les héros de l’antiquité. Mais si la forme du poème est parfaitement classique, son contenu bascule constamment entre le néo-classique, le romantique et quelque chose tout à fait contemporain à la vie de Welschinger.

D’une manière, le récit que crée Welschinger répond aux faits divers contemporains, particulièrement dans la localisation de son poème. D’une autre manière, son contenu appelle au chevauchement entre les néo-classiques et les romantiques. Si on commence par le début du poème, l’épigraphe tiré d’Horace, des ressemblances entre les thèmes des Odes et ceux de «  Le Phare » sont présentes.

« Le Phare » contient une épigraphe tirée des Odes (Carmina en latin) du poète romain Horace. Ce recueil de 103 courts poèmes date de 23 avant J-C et comprend des formules célèbres telles que carpe diem, quam minimum // credula postero (Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain) (Ode I,11,8) et l’épigraphe ci-présente, illi robur et aes triplex // Circa Pectus Erat… (Il avait la vigueur du chêne et un triple airain autour de la poitrine…) (Ode I,3,9). L’épigraphe, sûrement si bien connu à l’époque de Welschinger qu’il ne sentait pas la nécessité de la finir, continue à chanter les louanges du premier homme qui fut parti à la mer sur une petite barque :

« Il avait la vigueur du chêne et un triple airain autour de la poitrine, celui qui livra le premier une nef fragile à la mer terrible et qui ne craignit ni l’impétueux vent d’Afrique luttant avec les Aquilons, ni les tristes Hyades, ni la rage du Notus, ce maître tout-puissant de l’Hadria, qu’il veuille en soulever ou en apaiser les flots ». (Ode I,3,9).

Le premier homme à partir en mer aurait dû, évidemment, avoir le courage et la force de chêne et de bronze autour du cœur. Welschinger, pour sa part, n’attend même pas le troisième vers de son texte pour contrebalancer l’étrangeté du latin de son épigraphe. Le personnage de Corentin est décrit tout à fait comme celui qui livra le premier une nef fragile à la mer terrible.

« Corentin Kernevel était un vieux marin

Au front audacieux, au cœur d’un triple airain »

(Welschinger 7)

D’après M. Denis Merle « Horace est le poète latin favori du XIXe siècle, en France » (Merle 1). Si souvent édité pendant ce siècle, les œuvres d’Horace subissent trente traductions intégrales et plus de cent cinquante traductions partielles, dont une des plus célèbres est celle du poète parnassien Leconte de Lisle qui publie les deux premiers volumes des Odes aux éditions Lemerre[4] en 1873 (idem).

Quel est alors la signifiance de ces vers comme épigraphe ? Il faut comprendre que, même pour Horace, le sens des premières odes du premier volume n’est pas simple. La troisième ode, « À la nef de virgilius » comme elle est traduite par de Lisle, demande aux dieux hellénistes de protéger son ami, le poète Virgil, qui embarque pour Athènes (Horace, De Lisle « Odes »). Horace par la suite dit la tournure célèbre que cite Welschinger dans son épigraphe.

Dans les odes du début du premier volume, notamment la première ode jusqu’à la quinzième, Horace parle d’un bateau en voyage et de toutes les menaces possibles, évoquant les orages, les vents et les monstres de mer, les vagues, les dieux et les pirates. L’on pourrait constater que presque tous les troubles en mer de l’époque d’Horace, existent encore au XIXe siècle. Virgil, pour sa part, est très courageux d’entreprendre ce voyage en mer avec tous ces risques.

Mais il y a un autre niveau de lecture des odes d’Horace, et une métaphore qu’il laisse entendre dans la quatorzième ode. Il s’agit d’un bateau de l’état avec le chef d’état au gouvernail. Pour Rebecca Armstrong, Fellow et Tutor à St. Hilda’s College, Oxford, cette métaphore démontre le mélange subtil et malin qu’utilise Horace dans sa poésie lyrique. Lors d’un interview pour OCR GCSE Latin, Armstrong dit qu’au premier degré « … we fear the ship is heading into troubled waters and it might get into a storm or get into trouble and sink » (« The Ship of State in Troubled Waters »). Elle continue :

« […] he’s indirectly talking about the way Rome is possibly not as stable as it might be. The ship has become overconfident in itself. I’m worried lest you become a plaything for the winds. We might be politically lulled into a false sense of security. We’ve come from the civil wars, Augustin is steering things correctly. They could be going well. There may be trouble around the corner. There may be things going on which we may need to take care about » (idem).

 

L’écriture d’Horace présente un cas intéressant. Il y a un mélange d’une fiction parfaitement pertinent au public de son époque : un voyage en mer fait peur. Mais il arrive à le faire rentrer dans un cadre utilisé par des poètes depuis des génération. Horace sert d’une image, un symbole de l’état déjà compris depuis des années. Selon, encore, Rebecca Armstrong : « There’s this mixture of something that is entirely relevant to his time and completely general and about fitting which what great poets have done for generations before him. Let’s use an image which lots of people have used before » (« The Ship of State in Troubled Waters » Youtube 2 :58).

On peut imaginer que comme il se sert d’Horace pour son épigraphe, et comme il a « des fortes études classiques », le poète reconnait les implications politiques et nationales de cette ode. Le Virgil d’Horace se met dans le bateau politique pour tenter de rejoindre la gloire d’Athènes. Mais vu d’une autre manière, une manière donc plus contemporaine. Il faut se souvenir que le phare est un symbole de sauvetage, de lucidité et d’espoir, même s’il ne finit pas par sauver beaucoup des naufragés dans la poésie du XIXe siècle. L’avertissement d’Horace était de ne pas confondre la paix contemporaine avec la paix permanente. Rome venait de sortir d’une guerre civile, la vie politique s’était calmé un peu, mais il ne faut pas prendre une mer calme au départ pour une promesse d’un voyage tranquille. Comme c’était évident dans le poème d’Hugo, parfois on entend la mer mais on ne la voit pas venir. Le message d’Horace n’était pas une menace de révolution, mais un avertissement de ne pas reposer sur ses lauriers.

La France de 1879 dans laquelle le poète écrit est toujours sous le choc de la guerre Franco-Allemande. Cette guerre courte mais violente avec un pays si près, si inattendu, laissera des traces sur la France jusqu’à la Guerre 14-18. A noter est le fait que le poète, Welschinger, est Alsacien de naissance. L’Alsace-Lorraine fut annexé à la fin de la guerre par l’Allemagne, ce qui complétait la réunification de ce pays. Et ce poème, qui se passe à l’autre extrême du pays en Bretagne, un vieux Breton, un marin et gardien de phare rencontre un autre. L’un est muté au poste tant voulu de l’autre. Alors qu’ils semblent vivre en paix, Kernevel a tort finalement de faire confiance au traître Pen’bern. Le dernier vers du poème, « Prends pitié comme moi des pauvres matelots !… » est une déclaration altruiste de la part du poète. Il faut savoir pardonner et sauver ceux que l’on peut sauver des mers tumultueuses.

Au sujet des matelots, il est également important de remarquer un phénomène dans ce poème. Welschinger n’écrit ni sur les rois ni sur les grands guerriers. Il n’écrit même pas sur le capitaine du bateau ! Il écrit sur un vieux marin et un matelot. Cette focalisation sur les bas-peuples, sur les travailleurs de la mer, est une pratique particulièrement répandue dans la littérature du XIXe siècle.

Au niveau des phares, la poésie d’Henri Welschinger apparaît à la fin des années 1870 dans une France beaucoup plus éclairée. Pour revenir aux chiffres présentés plus haut, elle disposait de trois fois le nombre de phares et feux qu’avait le monde d’Hugo en 1836 (plus de trois cent comparait à une centaine cinquante ans plus tôt). Les chances de voir un nouveau phare qui éclairait un port ou la mer en longeant la côte de la France sont devenues beaucoup plus favorables. Le phare alors n’est pas simplement une idée, mais une réalité physique. En plus de la poésie citée ci-dessus, il faut également noter encore que le phare apparaît dans les nouvelles, le feuilletons et les romans d’époque. Et avec le phare est venu le personnage du gardien de phare.

Si les phares étaient entretenus par les ermites au Moyen-âge et par la Marine sous l’Ancien Régime, les gardiens sont recrutés localement au XIXe siècle : « En 1806 Napoléon réorganise l’administration des phares et la confie aux ingénieurs des Ponts et Chaussées » (« Les phares des côtes de France du XVIe au XXe siècle » 4). Bientôt après, suite à de nombreuses incidents, un décret datant de 1827 ordonne que les gardiens doivent savoir nager (« Les phares des côtes de France du XVIe au XXe siècle » 4). La vie est minutieusement règlementée et divise le travail d’entretien et de veille sur une équipe de deux personnes. Le personnage de vieux marin qui s’installe comme gardien, comme Corentin Kernevel dans le cas du poème de Welschinger, est tout à fait plausible. Dans ce regard, Welschinger est un poète avant la lettre, car les récits de gardien de phare apparaitront davantage dans la littérature française du XXe siècle.

Ayant analysé les personnages et les relations historiques dans le poème, il faut également passer à l’aspect technique du phare du titre dans le poème. D’une manière tout à fait romantique, le poète personnifie la nature dans le poème autant que les structures humaines. L’océan est colérique, les cieux vomissent les vents et le tonnerre, le Saint-Maurice couche sur les vagues. Le phare n’est aucune exception : « Le phare de Sizun dressait sa tête ronde, / comme un géant énorme, aux confins du vieux monde » (Welschinger 11). A part ceci, par contre, toute la troisième partie du poème décrit non le phare mais la terre mystique qui l’entoure. Il s’agit d’une description de la Pointe du Raz, pas loin du Cap Sizun en sud Finistère : la « lande arride, sol nu, noirs débris de murailles, / restes silencieux des bruyantes batailles » (idem).[5] Cette lande sauvage existe, pour le poète, hors du temps et mêmes dans un espace quasi-mythique. Il fait référence aux Celtes, aux Romains, à « l’eau du Laoual tout entière engloutie, / une autre Sodome, Is, la cité pervertie…» (idem). C’est un lieu infernal, un enfer terrestre où l’on envoie Kernevel. La violence de l’endroit est contrebalancé dans la sixième partie du poème quand le feu est enfin décrit.

Quatre mois après son arrivée au phare et Kernevel prend « à cœur sa tâche » (Welschinger 17). Il s’occupe du phare et aux navires passant :

« Puis, à l’heure où la brume étendait sur les vagues

Ses voiles sinueux, ses grandes ombres vagues,

Escorté de Pen’bern, il rallumait les feux

Qui révélaient au loin les écueils dangereux » (idem).

 

Il allume le phare qui révèle les écueils, les gouffres, les rochers cachés sous l’eau. Dans le passage suivant le poète fait un éloge au phare :

« Blanche étoile des flots, ô Phare tutélaire[6],

O feu consolateur et sacré, flamme claire

Qu’invoque le marin, frémissant, anxieux,

Livré soudainement aux ténèbres des deux,

Aveuglé par la houle écumante des lames,

N’ayant pour tout salut qu’une planche et deux rames,

O Phare, que de fois tu vins rendre l’espoir

Au naufragé perdu parmi l’Océan noir,

Qui n’apercevant plus le port ni le refuge,

Déjà tombait aux pieds du formidable Juge!

Le capitaine, froid, tel qu’aux jours des combats,

Donnait l’ordre fatal de renverser les mâts;

La femme sur son sein serrait un enfant blême,

Et, folle, murmurait la plainte qui blasphème;

Les vagues gémissaient avec de grands coups sourds,

Les voiles battaient l’air comme un vol de vautours,

Le canon vomissait ses clameurs sépulcrales,

Et le vaisseau sombrait sous l’assaut des rafales!.,.

Mais tout à coup du ciel l’ombre se déchirait,

Le phare tout en flamme à l’horizon vibrait,

Et saluant enfin sa lumière bénie,

L’équipage adorait la clémence infinie

De ce Dieu, dont le geste arrête seul la mer… » (Welschinger 17-18)

 

Il faut aborder ce passage avec une question : le poète parle-t-il davantage du vrai phare que les poètes qui le précèdent ? Comprend-il la révolution technologique des phares, ou mimique-t-il les romantiques d’autrefois et leurs présentations des phares ? Les personnages de gardiens est bien innovateur dans la poésie, mais ce passage, le plus concret sur le phare, n’est pas plus originel que « V. Le Phare » sur le phare d’Alexandrie et « XXIV. Une Nuit qu’on entendait la mer sans la voir » de Victor Hugo, publié en 1859 et 1836 respectivement.

Dans ce passage, le poète évoque les marins à une planche et deux rames qui invoque le phare. La planche rappelle l’épigraphe d’Horace et les hommes courageux qui étaient les premiers à prendre la mer. Le fait d’invoquer le phare et les marins aveuglé par la houle écumante des lames font référence tous les deux à l’aveuglement des marins dans le poème d’Hugo : les marins ne voient même pas la mer, ils sont alors aveuglés mais ils invoquent dans ce cas au lieu de rêver. Le champ lexical du clair et de l’obscur revient à de nombreuses reprises ici avec les mots tels que les ténèbres et l’ombre. Cette obscurité est déchirée par le phare. En plus, les vaisseaux qui le voient sont en guerre avec la nature, un autre référence très forte au romantisme : « Et le vaisseau sombrait sous l’assaut des rafales !… » (Welschinger 17). Le phare est attribué une classification des astres : c’est l’étoile des flots, devenu une partie de la nature.

Ce qui est évident, c’est que le poème de Welschinger mélange de nombreux influences classiques et romantiques. Et c’est un mélange ingénieux, d’aborder le néo-classique à la fin du XIXe siècle. Il transforme un personnage contemporain, le vieux gardien de phare, en héros antique avec un destin et un devoir. Mais pour ce qui concerne le phare du poème « Le Phare », il n’y a pas de grande révolution artistique. Au contraire, Welschinger fait preuve d’une image romantique des phares qui est maintenue cinquante ans et plusieurs mouvements artistiques plus tard. Cette image d’un phare qui est concret, mais qui n’a pas de structure, pas de description physique. Le phare, c’est sa lumière, c’est l’apostrophe donné deux fois dans le passage ci-dessus : O feu consolateur et sacré et O phare, que fois tu vins rendre l’espoir. Le phare est sacré et le phare donne de l’espoir.

L’intérêt du phare comme symbole est curieux. Alors que la technologie dépasse ce que l’on croyait possible autrefois, son rendu artistique n’est pas plus spécifique mais plus flou. Les phares équipés de la lentille Fresnel éclairent toujours les côtes de la France et celles des Grands Lacs aux États-Unis et au Canada, elle éclaire les côtes de l’Amérique du Sud et les côtes de Turquie sur la mer Noire et la Méditerranée. Dans la poésie, le phare est allumé et on chante ses louanges, mais les naufrages dominent toujours le récit. On rêve de la lumière du phare, on invoque la lumière du phare, mais le phare ne sauve personne dans la poésie du XIXe siècle.

Dans le poème néo-classique « Le Phare » d’Henri Welschinger, le phare ne représente pas le monde révolutionnaire de l’époque. Le phare est le même que les marins cherchaient en 1836 dans le poème de Victor Hugo, et il est écrit dans la manière des poètes datant d’il y a plus de deux cents ans. Le monde révolutionnaire n’est représenté que dans un élément du poème : les marins attendent voir le phare. Ils vivent dans un monde auquel ils ne peuvent plus naviguer comme autrefois. La nécessité du phare est évidente dans la poésie de Welschinger et ceci est sa contribution le plus innovatrice à la poésie du phare français.

[1] C.f. : Garnier, H. Six semaines dans un phare. T. Lefèvre, Paris. 1862. ; Gréville, Henry. À travers champs ; Autour d’un phare. Plon, Paris. 1877. ; Hugo, Victor. L’homme qui rit. Edition rencontre : Lausanne. 1960 / 1869. ; Laporte, Albert. Récits de vieux marins. T. Lefèvre, Paris. 1883. (La Tour de Cordouan, La Junon, la vide dans les phares) ; Maupassant, Guy de. Pierre et Jean. Paul Ollendorf, Paris. 1888. ; Souvestre, Émile. « Scènes et mœurs des rives et des côtes : Le Gardien du vieux phare », Revue des deux Mondes, vol. 14, 1852.

[2] Pourtant leurs vers varient souvent l’hémistiche classique (6/6) avec l’hémistiche dite romantique (4/4/4).

[3] Il faut admettre que l’on ne peut pas appeler ceci la stichomythie, car il a lieu hors du théâtre. Également, parfois, les vers divisés ne sont pas des répliques mais des commentaires narratifs. Tout de même, la versification alternative et la stichomythie restent les meilleures options pour décrire ce phénomène.

[4] Il est justement chez Lemerre où Welschinger publiera Le Phare en 1880. Leconte de Lisle publie les rééditions de son œuvre poétique chez Lemerre avant de passer à la traduction des textes antiques.

[5] Il est intégral, mais pas rédhibitoire, de présenter ici l’argument que Welschinger n’aurait pas avoir pu visiter cet endroit ; il s’agit d’une fabrication. Les clichés sur la Bretagne sont mélangés et ajouté pêle-mêle à la description de la lande (il n’y a point de menhirs à la pointe du Raz, mais simplement beaucoup de rochers). Si, comme l’on pourrait croire qu’il fait référence au feu fixe au Bec du Raz qui sera remplacé par le phare de la Vieille en 1887 (qui aurait été en chantier lors de la rédaction de ce poème). Le bâtiment du Bec du Raz aurait être le plus prêt à la description donnée dans le poème. Ceci dit, la scène finale des deux personnages n’est simplement pas possible. Les marées et les courants dans le Raz de Sein sont les plus extrêmes et violentes au monde. La jetée dont le poète parle ne durera pas plus d’une minute dans ces eaux. Pour sa part, le feu du Bec du Raz est à 20 minutes à pied de l’eau. Avec les falaises, en temps de tempête, l’eau serait inaccessible. J’ai fait personnellement le trajet plusieurs fois. Il ne faut jamais faire confiance ni aux poètes du XIXe ni aux chanteurs de country and western.

[6] Gardien = tutélaire

 


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