Amélie Nothomb: Le Sabotage amoureux 32-33 (“le centre du monde”)

Le centre du monde habitait à quarante mètres de chez moi.

Le centre du monde était de nationalité italienne et s’appelait Elena.

Elena devint le centre du monde dès que ses pieds touchèrent le sol bétonné de San Li Tun.

Son père était un petit Italien agité. Sa mère était une grande Indienne du Surinam, au regard aussi inquiétant que le Sentier Lumineux.

Elena avait six ans. Elle était belle comme un ange qui poserait pour une photo d’art.

Elle avait les yeux sombres, immenses et fixes, la peau couleur de sable mouillé.

Ses cheveux d’une noir de bakélite brillaient comme si on les avait cirés un à un et n’en finissaient pas de lui dévaler le dos et les fesses.

Son nez ravissant eût frappé Pascal d’amnésie.

Ses joues dessinaient un ovale céleste, mais rien qu’à voir la perfection de sa bouche, on comprenait combien elle était méchante.

Son corps résumait l’harmonie universelle, dense et délicat, lisse d’enfance, aux contours anormalement nets, comme si elle cherchait à se découper mieux que les autres sur l’écran du monde.

Décrire Elena renvoyait le Cantique des cantiques au rang des inventaires de boucherie.

En un seul regard, on sentait qu’aimer Elena serait à la souffrance ce que Grevisse est à la grammaire française : un classique conspué et indispensable.

Elle portait ce jour-là une robe de cinéma en broderie anglaise blanche. J’eusse péri de honte si j’avais dû revêtir une telle tenue. Mais Elena n’appartenait pas à notre système de valeurs et sa robe faisait d’elle un ange en fleur.

Elle sortit de la voiture et ne me vit pas.

A peu de chose près, ce fut sa politique pendant toute I’année que nous devions passer ensemble.

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Français 322: Introduction à la littérature moderne (Gipson) Copyright © by jgipson. All Rights Reserved.

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