Corneille, Cinna (Acte V sc 3)
Corneille, Cinna, Acte V, scène 3 [vers 1715-1744]
[vers 1715-1744]:
EMILIE
1715] Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés ;
Je recouvre la vue auprès de leurs clartés :
Je connais mon forfait, qui me semblait justice;
Et, ce que n’avait pu la terreur du supplice,
Je sens naître en mon âme un repentir puissant,
1720] Et mon coeur en secret me dit qu’il y consent.
Le ciel a résolu votre grandeur suprême;
Et pour preuve, seigneur, je n’en veux que moi-même :
J’ose avec vanité me donner cet éclat,
Puisqu’il change mon coeur, qu’il veut changer l’Etat.
1725] Ma haine va mourir, que j’ai crue immortelle ;
Elle est morte, et ce coeur devient sujet fidèle ;
Et prenant désormais cette haine en horreur,
L’ardeur de vous servir succède à sa fureur.
CINNA
Seigneur, que vous dirai-je après que nos offenses
1730] Au lieu de châtiments trouvent des récompenses?
Ô vertu sans exemple ! Ô clémence qui rend
Votre pouvoir plus juste, et mon crime plus grand!
AUGUSTE
Cesse d’en retarder un oubli magnanime ;
Et tous deux avec moi faites grâce à Maxime ;
1735] II nous a trahis tous ; mais ce qu’il a commis
Vous conserve innocents, et me rend mes amis.
À Maxime.
Reprends auprès de moi ta place accoutumée ;
Rentre dans ton crédit et dans ta renommée ;
Qu’Euphorbe de tous trois ait sa grâce à son tour;
1740] Et que demain I’hymen couronne leur amour.
Si tu I’aimes encor, ce sera ton supplice.
MAXIME
Je n’en murmure point, il a trop de justice ;
Et je suis plus confus, seigneur, de vos bontés
Que je ne suis jaloux du bien que vous m’ôtez.