French 321

Assignment: Racine, Phèdre, Acte I, scène 3



[vers 153-172]

PHÈDRE
N’allons point plus avant, demeurons, chère Œnone.
Je ne me soutiens plus ; ma force m’abandonne :
155] Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi;
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas !
(Elle s’assied.)

ŒNONE
Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent !

PHÈDRE
Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent !
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
160] A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ?
Tout m’afflige, et me nuit, et conspire à me nuire.

ŒNONE
Comme on voit tous ses vœux l’un l’autre se détruire !
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains ;
165] Vous-même, rappelant votre force première,
Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière,
Vous la voyez, madame ; et, prête à vous cacher,
Vous haïssez le jour que vous veniez chercher !

PHÈDRE
Noble et brillant auteur d’une triste famille,
170] Toi dont ma mère osait se vanter d’être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois !


[vers 173-216]

ŒNONE
Quoi ! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,
175] Faire de votre mort les funestes apprêts ?

PHÈDRE
Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ?

ŒNONE
Quoi, madame ?

PHÈDRE
Insensée ! où suis-je ? et qu’ai-je dit ?
Où laissé-je égarer mes vœux et mon esprit ?
Je l’ai perdu : les dieux m’en ont ravi l’usage.
Œnone, la rougeur me couvre le visage :
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs ;
Et mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs.

ŒNONE
185] Ah ! s’il vous faut rougir, rougissez d’un silence
Qui de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,
Voulez-vous, sans pitié, laisser finir vos jours ?
Quelle fureur les borne au milieu de leur course ?
190] Quel charme ou quel poison en a tari la source ?
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n’est entré dans vos yeux ;
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture.
195] À quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?
De quel droit sur vous-même osez-vous attenter ?
Vous offensez les dieux auteurs de votre vie ;
Vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie ;
Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu’un même jour leur ravira leur mère
Et rendra l’espérance au fils de l’étrangère,
À ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce fils qu’une Amazone a porté dans son flanc,
Cet Hippolyte…

PHÈDRE
Cet Hippolyte… Ah ! dieux !

ŒNONE
Cet Hippolyte… Ah ! dieux ! Ce reproche vous touche ?

PHÈDRE
Malheureuse ! quel nom est sorti de ta bouche !

ŒNONE
Eh bien ! votre colère éclate avec raison :
J’aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc : que l’amour, le devoir, vous excite.
Vivez ; ne souffrez pas que le fils d’une Scythe
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux.
Mais ne différez point ; chaque moment vous tue :
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours prêts à se consumer
Le flambeau dure encore et peut se rallumer. 


[vers 246-264]

ŒNONE
Parlez : je vous écoute.

PHÈDRE
Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?

ŒNONE
Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser.

PHÈDRE
Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !
250] Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !

ŒNONE
Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.

PHÈDRE
Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

ŒNONE
255] Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?

PHÈDRE
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.

ŒNONE
Aimez-vous ?

PHÈDRE
De l’amour j’ai toutes les fureurs.

ŒNONE
260] Pour qui ?

PHÈDRE
Tu vas ouïr le comble des horreurs…
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…

ŒNONE
Qui ?

PHÈDRE
Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé

ŒNONE
Hippolyte ? Grands dieux !


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