Baudelaire, le poème en prose et la presse (FR 322)
Assignment: Baudelaire, le poème en prose, et la presse
Grandville. “Exposition de l’avenir.” Le Diable à Paris: Paris et les parisiens, ed. Paul Gavarni, Grandville, Honoré de Balzac and Octave Feuillet. Hetzel: Paris, 1868.
Charles Baudelaire, bien connu pour son recueil de poèmes Les Fleurs du mal, a composé de nombreux poèmes en prose qui ont été réunis dans un recueil posthume intitulé Petits poèmes en prose (Le Spleen de Paris) paru en 1869. Nombre de ces poèmes ont fait l’objet de publications dans la presse de l’époque, notamment à partir de 1857. Comme le titre le suggère, cette lecture interactive vous invite à explorer le rapport entre la presse quotidienne et le poème en prose baudelairien, un “genre né par et pour la presse” selon le critique Jean-Pierre Bertrand dans son article “Une Lecture médiatique du Spleen de Paris”.
Petits poèmes en prose (Le Spleen de Paris) :
Réflexion sur les titres
A. Significations littérales et figurées
1) “Petits poèmes en prose”
2) “Le Spleen de Paris”
B. “Baudelaire moderne et antimoderne” (podcast), Antoine Compagnon
Vous allez à présent écouter l’extrait d’un cours magistral, “Baudelaire moderne et antimoderne”, délivré au Collège de France par Antoine Compagnon le 10 janvier 2012.
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Ecoutez cet extrait une première fois, puis réécoutez-le après avoir cliqué sur ce lien qui vous permettra de mieux comprendre ce dont Compagnon discute grâce à des exercices qui vous guideront dans votre écoute.
A Arsene Houssaye
Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l’espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j’ose vous dédier le serpent tout entier.
J’ai une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit, d’Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.
Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience? C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n’avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier, et d’exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce cri envoie jusqu’aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue?
Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m’ait pas porté bonheur. Sitôt que j’eus commencé le travail, je m’aperçus que non-seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que je faisais quelque chose (si cela peut s’appeler quelque chose) de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s’enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu’humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus grand honneur du poète d’accomplir juste ce qu’il a projeté de faire.
Votre bien affectionné,
C.B.
Le chien et le flacon
« — Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. »
Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s’approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché ; puis, reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi en manière de reproche.
« — Ah ! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d’excréments, vous l’auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l’exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »
Maintenant, vous allez réfléchir au format de publication des poèmes en prose. Cliquez sur ce lien pour voir la vidéo (leçon d’Antoine Compagnon 10 janvier 2012*) et réfléchissez à la configuration de la page et des modes de lecture.
* Seulement l’extrait de 00:39:42 à 00:50:57.
« « Voici la première page de La Presse [La Presse, le 26 août 1862] ou apparaît en rez-de-chaussée, en bas, ou apparaissent les premiers poèmes en prose […] observez la configuration de la page ».
Maintenant que vous avez terminé les exercices de cette lecture interactive, réfléchissez aux deux questions suivantes :
1/ Peut-on séparer la presse de la vie moderne ?
2/ Qu’y a-t-il de poétique dans la vie moderne?
N’hésitez pas à faire des parallèles entre le dix-neuvième siècle et notre époque afin d’étayer votre argumentation.