French 271
Assignment: Corneille, Horace (Lettre dédicatoire) 2
II faut, MONSEIGNEUR, que tous ceux qui donnent leurs veilles au théâtre publient hautement avec moi que nous vous avons deux obligations très signalées : l’une, d’avoir ennobli le but de l’art ; l’autre, de nous en avoir facilité les connaissances. Vous avez ennobli le but de l’art, puisque, au lieu de celui de plaire au peuple que nous prescrivent nos maîtres, et dont les deux plus honnêtes gens de leur siècle, Scipion et Lélie, ont autrefois protesté de se contenter, vous nous avez donné celui de vous plaire et de vous divertir, et qu’ainsi nous ne rendons pas un petit service à l’Etat, puisque, contribuant à vos divertissements, nous contribuons à l’entretien d’une santé qui lui est si précieuse et si nécessaire. Vous nous en avez facilité les connaissances, puisque nous n’avons plus besoin d’autre étude pour les acquérir que d’attacher nos yeux sur Votre Eminence quand elle honore de sa présence et de son attention le récit de nos poèmes. C’est là que, lisant sur son visage ce qui lui plaît et ce qui ne lui plaît pas, nous nous instruisons avec certitude de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, et tirons des règles infaillibles de ce qu’il faut suivre et de ce qu’il faut éviter ; c’est là que j’ai souvent appris en deux heures ce que mes livres n’eussent pu m’apprendre en dix ans ; c’est là que j’ai puisé ce qui m’a valu l’applaudissement du public; et c’est là qu’avec votre faveur j’espère puiser assez pour être un jour une œuvre digne de vos mains. Ne trouvez donc pas mauvais, MONSEIGNEUR, que pour vous remercier de ce que j’ai de réputation, dont je vous suis entièrement redevable, j’emprunte quatre vers d’un autre Horace que celui que je vous présente, et que je vous exprime par eux les plus véritables sentiments de mon âme:
Totum muneris hoc tui est,
Quod monstror digito proetereuntium
Scenoe non levis artifex :
Quod spiro et placeo, si placeo, tuum est.
[C’est à ta faveur seulement que je dois être montré du doibt par les passants, comme un écrivain dramatique non négligeable. Si j’ai l’inspiration et si je plais – si véritablement je plais – je te le dois]
Je n’ajouterai qu’une vérité à celle-ci, en vous suppliant de croire que je suis et serai toute ma vie très passionnément,
MONSEIGNEUR,
DE VOTRE EMINENCE,
Le très humble, très obéissant
Et très fidèle serviteur,
CORNEILLE