French 568

Assignment: Corneille, Horace (Lettre dédicatoire)



A Mgr LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU

MONSEIGNEUR,

Je n’aurais jamais eu la témérité de présenter à Votre Eminence ce mauvais portrait d’Horace, si je n’eusse considèré qu’après tant de bienfaits que j’ai reçus d’elle, le silence où mon respect m’a retenu jusqu’à présent passerait pour ingratitude, et que quelque juste défiance que j’aie de man travail, je dois avoir encore plus de confiance en votre bonté. C’est d’elle que je tiens tout ce que je suis ; et ce n’est pas sans rougir que, pour toute reconnaissance, je vous fais un présent si peu digne de vous, et si peu proportionné à ce que je vous dois. Mais, dans cette confusion, qui m’est commune, avec tous ceux qui écrivent, j’ai cet avantage qu’on ne peut, sans quelque injustice, condamner mon choix, et que ce généreux Romain, que je mets aux pieds de Votre Eminence, eût pu paraître devant elle avec moins de honte, si les forces de l’artisan eussent répondu à la dignité de la matière ; j’en ai pour garant l'auteur dont je l'ai tirée, qui commence à décrire cette fameuse histoire par ce glorieux éloge, « qu’iI n’y a presque aucune chose plus noble dans toute l’antiquité ». Je voudrais que ce qu’il a dit de l’action se pût dire de la peinture que j’en ai faite, non pour en tirer plus de vanité, mais seulement pour vous offrir quelque chose un peu moins indigne de vous être offert. Le sujet était capable de plus de grâces, s’il eût été traité d’une main plus savante, mais du moins il a reçu de la mienne toutes celles qu’elle était capable de lui donner, et qu’on pouvait raisonnablement attendre d'une muse de province, qui, n’étant pas assez heureuse pour jouir souvent des regards de Votre Éminence, n’a pas les mêmes lumières à se conduire qu’ont celles qui en sont continuellement éclairées. Et certes, MONSEIGNEUR, ce changement visible qu’on remarque en mes ouvrages depuis que j’ai l’honneur d’être à Votre Eminence, qu’est-ce autre chose qu’un effet des grandes idées qu’elle m’inspire quand elle daigne souffrir que je lui rende mes devoirs? Et à quoi peut-on attribuer ce qui s’y mêle de mauvais, qu’aux teintures grossières que je reprends, quand je demeure abandonné à ma propre faiblesse?


II faut, MONSEIGNEUR, que tous ceux qui donnent leurs veilles au théâtre publient hautement avec moi que nous vous avons deux obligations très signalées : l’une, d’avoir ennobli le but de l’art ; l’autre, de nous en avoir facilité les connaissances. Vous avez ennobli le but de l’art, puisque, au lieu de celui de plaire au peuple que nous prescrivent nos maîtres, et dont les deux plus honnêtes gens de leur siècle, Scipion et Lélie, ont autrefois protesté de se contenter, vous nous avez donné celui de vous plaire et de vous divertir, et qu’ainsi nous ne rendons pas un petit service à l’Etat, puisque, contribuant à vos divertissements, nous contribuons à l’entretien d’une santé qui lui est si précieuse et si nécessaire. Vous nous en avez facilité les connaissances, puisque nous n’avons plus besoin d’autre étude pour les acquérir que d’attacher nos yeux sur Votre Eminence quand elle honore de sa présence et de son attention le récit de nos poèmes. C’est là que, lisant sur son visage ce qui lui plaît et ce qui ne lui plaît pas, nous nous instruisons avec certitude de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, et tirons des règles infaillibles de ce qu’il faut suivre et de ce qu’il faut éviter ; c’est là que j’ai souvent appris en deux heures ce que mes livres n’eussent pu m’apprendre en dix ans ; c’est là que j’ai puisé ce qui m’a valu l’applaudissement du public; et c’est là qu’avec votre faveur j’espère puiser assez pour être un jour une œuvre digne de vos mains. Ne trouvez donc pas mauvais, MONSEIGNEUR, que pour vous remercier de ce que j’ai de réputation, dont je vous suis entièrement redevable, j’emprunte quatre vers d'un autre Horace que celui que je vous présente, et que je vous exprime par eux les plus véritables sentiments de mon âme:


 

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