Laclos, Les Liaisons dangereuses (lettre 105)
Laclos, Les Liaisons dangereuses (lettre 105)
Sérieusement peut-on, à quinze ans passés, être enfant comme vous l’êtes ? Vous avez bien raison de dire que vous ne méritez pas mes bontés. Je voulais pourtant être votre amie : vous en avez besoin peut-être avec la mère que vous avez, & le mari qu’elle veut vous donner ! Mais si vous ne vous formez pas davantage, que voulez-vous qu’on fasse de vous ? Que peut-on en espérer ; si ce qui fait venir l’esprit aux filles semble au contraire vous l’ôter ?
Si vous pouviez prendre sur vous de raisonner un moment, vous trouveriez bientôt que vous devez vous féliciter au lieu de vous plaindre. Mais vous êtes honteuse, & cela vous gêne ! Hé ! tranquillisez-vous ; la honte que cause l’amour est comme sa douleur : on ne l’éprouve qu’une fois. On peut encore la feindre après, mais on ne la sent plus. Cependant le plaisir reste, & c’est bien quelque chose. Je crois même avoir démêlé, à travers votre petit bavardage, que vous pourriez le compter pour beaucoup. Allons, un peu de bonne foi. Là, ce trouble qui vous empêchait de faire comme vous disiez, qui vous faisait trouver si difficile de se défendre, qui vous rendait comme fâchée quand Valmont s’en est allé, était-ce bien la honte qui le causait, ou si c’était le plaisir ? & ses façons de dire auxquelles on ne sait comment répondre, cela ne viendrait-il pas de ses façons de faire ? Ah ! petite fille, vous mentez, & vous mentez à votre amie ! Cela n’est pas bien. Mais brisons-là.