French 271
Laclos, Les Liaisons dangereuses (lettre 6)
J’ai dirigé sa promenade de manière qu’il s’est trouvé un fossé à franchir ; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide (vous jugez bien qu’une prude craint de sauter le fossé). Il a fallu se confier à moi. J’ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs & le passage de ma vieille tante l’avaient fait rire aux éclats : mais, dès que je me fus emparé d’elle, par une adroite gaucherie, nos bras s’enlacèrent naturellement. Je pressai son sein contre le mien ; et, dans ce court intervalle, je sentis son cœur battre plus vite. L’aimable rougeur vint colorer son visage, & son modeste embarras m’apprit assez que son cœur avait palpité d’amour & non de crainte. Ma tante cependant s’y trompa comme vous, & se mit à dire : “L’enfant a eu peur” ; mais la charmante candeur de l’enfant ne lui permit pas le mensonge, & elle répondit naïvement : « Oh ! non, ce n’est pas cela. » Ce seul mot m’a éclairé. De ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude.